Chapitre 24 : Parler à cœur ouvert

3K 332 37
                                    

Le fait qu'Harry se réfugie dans sa chambre était tout à fait naturel. Il avait besoin de s'enfermer dans son cocon protecteur et je m'en voulais un peu de devoir en forcer l'entrée, de violer son intimité. Cependant, je devais lui parler et lui dire ce que j'avais sur le cœur. Je trouvai facilement la chambre et vis, une fois arrivé devant, que la porte était entrouverte. Je glissai ma tête à l'intérieur afin de voir si je ne dérangeais pas trop et vis Harry assis sur le large rebord de la fenêtre. J'entrai discrètement en signalant toutefois ma présence et vins m'asseoir sur le lit. Je savais qu'il m'avait vu, ou au moins entendu entrer, mais il m'ignorait. Je reconnaissais cette indifférence. C'était la phase de rejet, celui que l'on mettait en œuvre pour ne pas trop s'attacher à quelqu'un afin d'éviter les déceptions. J'en profitai pour l'observer de profil. Il était fin, vraiment trop mince pour son âge, et ne possédait aucun muscle témoignant d'une quelconque activité sportive. Sa peau était pâle et je remarquai que ses yeux noisette étaient cerclés de cernes. Ce petit souffrait cruellement.

J'attendis quelques minutes. Personne ne parla et nous pouvions uniquement entendre nos respirations, rapide pour la sienne et lente pour la mienne. Il était toujours énervé mais j'étais serein. Alors, je me décidai à prendre la parole et de m'ouvrir honnêtement comme jamais je ne l'avais fait auparavant en une seule fois.

— Je n'ai plus de parents, tu sais. Ils sont morts il y a un peu moins d'un an, ainsi que mon petit-frère. Je me suis retrouvé seul, du jour au lendemain. Mais je ne l'ai pas réalisé tout de suite. En fait, il m'a fallu un mois entier pour que je comprenne leur disparition à tous les trois et ce que ça engendrait. Pendant ce mois, j'ai espéré. Beaucoup. J'ai espéré que ce soit une blague, un poisson d'avril très en retard, une surprise de mauvais goût pour fêter ma réussite des épreuves anticipées au bac. Et puis, je les faisais vivre dans mon esprit. Je m'attendais chaque jour à les voir passer la porte d'entrée en m'annonçant que mon frère avait encore perdu son match de handball. Il était très doué, tu sais ? Parfois, je les imaginais dans la maison en train de vivre autour de moi, de faire ce qu'ils faisaient d'habitude. Des tâches ménagères, regarder la télé, parler et rigoler à table, débattre parfois sur certains sujets. Même s'engueuler. J'ai revécu pendant un mois tout ce que j'avais vécu avec eux.

Un léger sourire flotta sur mes lèvres. Je me rappelai de ces moments, si précieux à présent. Puis, la réalité me revint en pleine face avec fatalité lorsqu'Harry se tourna légèrement vers moi.

— Mais je me trompais. J'inventais tout, j'hallucinais. Et puis, j'ai eu une sorte de déclic en allant pour la première fois sur leur tombe. J'ai réalisé subitement, et brutalement, qu'ils ne reviendront jamais. Aucun d'eux. Ils étaient partis, pour toujours et sans possibilité de revenir. Et tu sais ce que j'ai pensé à cet instant ? Qu'ils m'avaient abandonné. Et ça faisait mal. Vraiment très mal.

Je me repositionnai sur le lit, pas que le sujet me rende mal-à-l'aise mais j'avais toujours cette difficulté à m'ouvrir à un inconnu. Pourtant, Harry devait savoir.

— Je leur en ai voulu terriblement pour m'avoir laissé seul dans ce monde. D'ailleurs, je leur en veux toujours autant. Alors peut-être que je n'ai pas subi la même douleur que toi, que pour moi c'était accidentel, mais je sais ce que ça fait de penser que l'on a été abandonné par quelqu'un en qui on avait une confiance aveugle. Tu as mal à cause du geste de ta mère. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé mais je connais les conséquences. Je les ai face à moi. Tu as mal aussi. Et tu veux que je te dise pourquoi c'est aussi douloureux ? C'est de savoir que ta mère que tu aimes énormément t'a abandonné malgré toute l'affection que tu éprouvais pour elle.

Ses épaules tressautèrent et je sus que je trouvai les bons mots pour le toucher. Alors, je poursuivis sur ma lignée.

— Ce qui te fait mal, c'est l'amour que tu lui portes. Si tu ne ressentais rien pour elle, la douleur aurait été moins grande, sûrement plus... gérable. Mais ce n'est pas le cas. C'est ta mère, Harry, et c'est parce que tu l'aimes que tu es blessé par son geste. Du coup, tu t'en prends aux autres en pensant qu'ils sont tous plus heureux que toi et que, dans le fond, tu meurs de jalousie. Ne la laisse pas te maîtriser car tu cherches à blesser les autres autant que toi tu l'es. Si tu veux faire partager ta douleur, laisse-la plutôt s'exprimer librement. En criant, pleurant, cassant tout ce que tu as sous la main, mais les autres n'y sont pour rien.

Loup des bois et des rêves (M/M)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant