Chapitre 23 : Le foyer

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Tout de suite après manger, le jour d'après, Jules vint me chercher. La veille, il m'avait expliqué au préalable que ce n'était pas un foyer au sens juridique du terme mais que c'en était un quand même. Apparemment, le lieu où il habitait – un grand bâtiment situé à l'orée de la forêt de Prénovel, à quarante minutes de chez moi – accueillait là-bas des personnes n'ayant nul part où aller. Ce pouvait être des enfants, des adolescents, souvent des orphelins refusant d'être adoptés, ou d'autres partis de chez eux sans que leurs parents ne fassent le moindre geste pour les récupérer. Je fus même surpris en apprenant qu'il y avait même quelques adultes. Les deux seules règles qui leur étaient imposées étaient qu'ils étaient dans une partie du bâtiment à part, histoire d'être en règle selon la loi par rapport aux mineurs, et ils devaient quitter le complexe à trente ans, ce qui laissait quand même pas mal de temps.

Après les vagues explications de Jules, j'eus l'impression d'un grand internat dans lequel cohabitait des personnes aux situations diverses mais au but presque commun : se tenir compagnie et vivre en se serrant les coudes. Des employés mais aussi des bénévoles, en plus des propriétaires qui habitaient directement sur place, géraient le foyer, venaient régulièrement rendre visite aux habitants et les aidaient à vivre en leur préparant à manger, s'occupant des tâches ménagères, prenant en charge les plus jeunes, etc. La seule chose qui était imposé était d'apprendre à vivre par soi-même le temps d'être prêt à partir. Lorsque Jules m'en avait parlé, je lui avais demandé si ce n'était pas illégal de prendre en charge un enfant sans tuteur légal et il m'avait répondu en haussant les épaules que tout était en règle par rapport à l'Etat. Il s'agissait d'une sorte de foyer privé mais sans cotisation à payer.

— Une fois, par curiosité, j'ai posé la question aux propriétaires et ils m'ont assuré que tout était en ordre légalement. Ils ont essayé de m'expliquer mais j'avoue avoir vite décroché. La seule chose que j'ai retenu, c'est que sans leur aide, plus de la moitié d'entre nous – moi compris – ne seraient plus ici. Nous aurions été envoyés soit dans l'orphelinat le plus proche, à savoir Lausanne en Suisse – et je ne t'explique même pas le temps que ça aurait pris de faire tous les papiers pour les questions de nationalité et tout le bazar – soit beaucoup plus loin, mais pas dans la région. Franchement, si j'ai accepté d'aller là-bas, c'est bien parce que je pouvais rester dans le coin. D'ailleurs, c'est plus ou moins la même chose pour tous ceux qui y résident.

Ainsi, je me trouvais actuellement à bord de la petite Saxo verte de Jules qui chantonnait joyeusement en conduisant. Il était toujours excité à l'idée de me montrer l'endroit où il vivait. Il me faisait penser à un enfant qui était pressé de montrer ses derniers cadeaux reçus. Toutefois, j'évitai de lui faire cette réflexion, il en aurait probablement été offensé, le pauvre.

Je vis que nous arrivions lorsque Jules quitta la route principale pour s'engouffrer sur une petite route. Nous passâmes entre des sapins pleins de neige puis, ce fut en sortant d'un virage que je remarquai notre destination. Au loin s'élevait un énorme chalet en bois sombre, coincé entre les arbres. Il était semblable aux hôtels des pistes de ski dans sa forme mais il avait quelque chose de plus attirant et de plus chaleureux. Jules se gara sur le petit parking devant la bâtisse sur laquelle je comptai quatre étages en plus du rez-de-chaussée. J'avais hâte de le découvrir de l'intérieur. Mon ami ouvra avec empressement la porte d'entrée et me tira dedans. J'avais de nouveau cette impression d'être face à un enfant qui était impatient de montrer ses cadeaux et, une fois encore, je me tus avec un petit sourire.

La porte s'ouvrit sur un vestibule où je dus enlever mes chaussures. C'était une règle ici. Juste après le vestibule s'ouvrit un grand salon, organisé autour d'une cheminée dans laquelle un feu était allumé. Sur la gauche, deux grands canapés rouges, ainsi que trois larges poufs, encadraient une table basse près de l'âtre et un tapis beige recouvrait le carrelage de la même couleur qu'une brique, tandis qu'au fond sur la droite, non-loin de la fenêtre qui donnait sur la forêt, une table de baby-foot remplissait le coin. Juste à côté de moi, une arche donnait sur la salle à manger, avec trois grandes tables installées, et une large cuisine américaine. D'ailleurs, une femme était justement en train de cuisiner en chantonnant. De petite taille, elle devait avoir une soixantaine d'années mais elle semblait encore parfaitement en forme, contrairement à certains du même âge. Ses cheveux gris, à peine retenus en chignon, volait à chaque mouvement qu'elle faisait. Lorsqu'elle entendit la porte du vestibule derrière nous se fermer, elle se tourna et nous accueillit avec un grand sourire.

Loup des bois et des rêves (M/M)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant