Chapitre 70 : Seul contre tous

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La voiture filait à toute allure entre les arbres, perçait dans la nuit comme une étoile filante sur la toile du firmament. Si le visage de Léandre ne laissait pas entrevoir ses sentiments, sa façon de conduire était transparente et le trahissait. Il prenait brusquement les virages sans décélérer, l'angoisse le rendait presque dangereux sur la route mais je n'osai piper mot. Mes mains tremblaient encore après ce qu'il s'était passé quelques minutes auparavant. Arthur posa une des siennes par-dessus. Sa peau était chaude, presque brûlante, contrastant avec la mienne gelée. Je lui jetai un regard et vis qu'il bouillonnait. La mâchoire serrée, les yeux luisants dans le noir, il regardait la route comme s'il s'empêchait de poser sur moi un regard si rude. Toutefois, sa main était douce, chaleureuse, loin d'être aussi dure que son regard. Elle se glissa sous mes doigts qu'elle serra avec tendresse, dans un geste de réconfort. Ce ne fut pas pour autant que mes mains arrêtèrent de trembler. Je ne voulais pas affronter une fois de plus le regard de la meute, affronter Alice ou les Leuks, en arriver à la discussion de nos études avec Arthur, et encore moins avoir à réutiliser cette foutue sensibilitas qui avait manqué de m'engloutir quelques minutes plus tôt. Je sentais que cette expérience avait eu quelques conséquences physiquement. De la fièvre sans doute. J'avais à la fois froid et chaud. Au fond de moi, je me sentais drainé de toute force. Je souhaitai juste aller me coucher mais les souvenirs de l'enlèvement de Mamily me maintenaient attentif et lucide.

Rapidement, grâce à la vitesse à laquelle Léandre roulait, nous arrivâmes devant le chalet éclairé. Quelques lycanthropes tournaient en rond à l'extérieur et redressèrent la tête en nous voyant arriver. Le freinage de Léandre fut brusque et, en moins de quelques secondes, il était dehors entouré des autres membres de la meute. Elle semblait être au grand complet, ou au moins une très grande partie était présente. J'ignorai quels étaient leurs effectifs et il y avait pas mal de têtes que je n'avais jamais vues. Arthur les rejoignit après m'avoir dit de prendre mon temps avant d'y aller. Le claquement de la portière laissa place à un grand froid. J'aurais aimé que le brun reste un peu pour me rassurer, mais je ne pouvais pas être aussi dépendant de lui. En plus, seul, j'allais devoir affronter tous ces regards de reproche et de haine. Rien que penser à Aimeric me fit frémir. J'avais encore moins envie de sortir de cette voiture. Que pouvais-je bien leur dire ? Que je n'y étais pour rien dans la mort de Carlie ? La culpabilité qui m'hantait affirmait le contraire avec véhémence. Leur demander pardon était complètement hors de question parce qu'ils n'accepteraient jamais de m'accorder ce pardon. Il y avait également une autre raison, plus enfouie. Malgré l'intense culpabilité, je me révoltai à l'injuste idée d'être leur bouc-émissaire. La perspective d'être confronté à plusieurs dizaines de loups garous nerveux ne me réjouissait pas vraiment.

En réalité, Léandre avait toutes les cartes en main pour gérer à bien le problème actuel, c'est-à-dire l'enlèvement de ma grand-mère, et ma présence n'était pas utile. Toutefois, d'un point de vue moral, je me devais d'être présent. Il s'agissait de ma grand-mère et j'étais dans mon droit de participer à cette histoire. Ce droit, ils ne pouvaient pas me l'enlever. J'ignorais quelle force me poussa à sortir au bout de cinq minutes d'intense débat intérieur. Dès que la portière fut ouverte, tous les regards convergèrent vers moi. J'hésitai alors à poser le pied dehors. Plus personne ne parlait, comme si j'avais fait une grave erreur monumentale. Après avoir repris mon souffle, je sortis définitivement de la voiture et me tournai vers la meute qui me regardait avec hostilité. Un grognement se fit entendre, venant de la foule de lycanthropes. Je cherchai Arthur des yeux, perdu sur l'attitude à adopter. Tout mon courage me fuyait brusquement. Déjà qu'il n'était pas très grand... Je déglutis et voulus faire un pas en arrière, mettre de la distance entre moi et cette bande de joyeux compagnons qui ne me voulait sûrement pas que du bien.

— Ethan, approche, dit Léandre.

Sa demande s'apparentait plus à un ordre mais je n'en fis pas cas. Les jambes tremblantes, les mains également, je m'approchai de la meute et me plaçai au plus proche de Léandre. Il était l'alpha et il avait juré à ma grand-mère de me protéger. Au mieux, il empêcherait les plus téméraires de me déchiqueter sur le champ. Du moins, je l'espérais.

Loup des bois et des rêves (M/M)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant