Épilogue

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Le soleil rayonnait haut dans le soleil, inondant le paysage de sa lumière. Les oiseaux honoraient cette belle journée de début de septembre par leurs piaillements enchanteurs. La légère brise bienvenue sous cette chaleur secouait doucement les feuillages des arbres. Une sensation de plénitude et de bonheur était due aux choses les plus simples, disait-on. La vie continuait son cours mais, de temps en temps, je voulais qu'elle s'arrête. Juste pour un petit instant. Face au marbre gravé qui resplendissait sous les rayons de soleil, la tristesse avait un goût amer dans ma bouche. Je savais pertinemment qu'elle ne me quitterait jamais mais ce n'était pas pour autant qu'elle allait s'atténuer. Alors, je me disais que, de temps à autre, je pouvais bien y succomber. Dans ces cas-là, j'aimais être seul pour réfléchir et pourtant, aujourd'hui particulière, je ressentais le besoin d'avoir quand même une présence à mes côtés pour me rappeler combien j'avais évolué depuis cette tragédie qui avait bouleversé ma vie. Et c'était le rôle que jouait Arthur.

J'étais debout, devant cette pierre où était gravée une série de noms, Arthur derrière moi me tenant dans ses bras. Ici, au Manoir de l'Horizon, j'avais la sensation d'être éloigné de tout et c'était loin d'être désagréable. Voilà un petit mois seulement que les Leuks, la meute de Mouthe et celle de Joux avaient conclu leur pacte de paix. En vue de la menace qui se profilait à l'horizon, ils avaient cédé à la demande de paix d'Isidore. Les Jurassiens avaient accepté de céder une partie de leur territoire, celle qui se trouvait à l'extrême ouest et qui était la plus proche de leur ancien territoire qu'ils tentaient malgré tout de conserver. L'entente semblait se dérouler aussi bien qu'elle aurait pu. Certaines tensions ne s'apaisaient pourtant pas, notamment entre Aimeric, Romain et leur père, Vianney. Personne n'oubliait les morts et les blessés, ceux qui avaient été victimes du conflit, mais il apparaissait clairement que les révélations d'Isidore concernant cette mystérieuse et dangereuse organisation leur avait permis de relativiser. Il ne leur faudrait pas beaucoup de temps pour qu'un jour ils s'allient contre celle-ci.

Néanmoins, Arthur et moi avions fait un autre choix.

Les retrouvailles avec ma grand-mère avaient été à la hauteur de la peur que j'avais éprouvée durant toute son absence. Pour autant, je n'oubliais pas ses mensonges et combien j'en avais souffert. Comme Arthur avec sa meute, je ne me sentais plus sur la même longueur d'onde, quoique ceci eût été plus fortement ressenti chez mon petit-ami. Même après la conclusion de la paix, même après les remerciements sincères de sa meute, Arthur avait du mal à la réintégrer. La rupture avait été profonde, comme son attachement pour moi. Il nous fallait nous reconstruire et, pour cela, Isidore nous avait proposé de passer la suite de nos vacances dans son manoir. Alors, nous avions découvert un nouveau paysage, celui de la Provence, qui nous changeait largement du paysage montagnard. Nous n'avions même pas eu besoin de quitter le manoir tant son territoire était étendu. Et comme toute bâtisse luxueuse qui se respectait, il y avait aussi un rapide accès à la mer puisque le manoir dominait celle-ci du haut de sa falaise.

C'était notre dernier jour ici.

Ceci expliquait notre présence en ces lieux, face à cette pierre en marbre que j'étais allé visiter plus d'une fois ces dernières semaines. Cachée au sein d'une forêt de pins maritimes qui bordaient le manoir, elle se trouvait au cœur de ce qui ressemblait fort à une clairière, éclairée par le soleil rayonnant. J'ignorais avec quel sortilège elle fonctionnait mais elle me fascinait. Sur sa surface blanche et lisse décorée de nervures grises, des noms étaient gravés et pas n'importe lesquels. Il s'agissait des défunts des clans. Les noms d'un clan ou d'une famille apparaissaient uniquement aux yeux de ceux qui en faisaient partie. Pour Arthur, cette pierre affichait ceux qui composaient autrefois sa meute. Pour un humain sans don, cette pierre sera vierge, reflétant uniquement la lumière sur sa surface lisse.

Et pour moi, je découvrais une part de l'histoire de ma famille.

Non seulement je retrouvais ici le nom de ma mère mais également celui de Mathias, mon petit-frère. Il avait été un Empathe lui aussi et cette constatation, la première fois que j'avais vu son nom cette roche, m'avait profondément touché. Depuis, le marbre faisait office de pierre tombale dans mon cœur, à défaut de pouvoir me recueillir sur la tombe familiale près de Lyon. Evidemment, mon père n'avait pas sa place sur cette pierre mais il était présent dans mon cœur et c'était suffisant.

Le regret m'étreignait à chaque fois que je venais ici. Car tout le monde finissait par regretter. « Et si », disions-nous tous. Nous regrettions des actes, des paroles, des regards... Dans notre tête, nous cherchions à refaire le passé, à l'embellir en se convaincant que chacun avait eu une belle vie. Il n'y avait pourtant pas de bonne ou de mauvaise vie. Il n'y avait qu'une vie, une succession de choix et de contraintes. J'étais aussi désolé. Pour tout ce que j'avais pu dire. Pour avoir hurlé. Pour ne pas avoir pleuré pour les bonnes raisons. Pour avoir éprouvé autant de rancœur. De haine parfois. La haine d'avoir été abandonné, laissé seul. D'avoir perdu autant d'amour dans ma vie. Mais, maintenant, cela faisait trois ans que c'était fait. Je ne pouvais pas changer le passé, seulement l'accepter.

Cependant,Arthur était là pour me ramener à lui et au monde qui vivait encore. Le plusdur, après la perte de mes parents, avait été de se relever et d'aimer ànouveau. Et le pari avait été relevé avec succès. Une caresse sur mon épaule,un baiser volé, me chatouilla. Je compris qu'il fallait partir, notre vie nousattendait. Alors, je m'accroupis devant la pierre, la gorge serrée, et d'unmouvement de bras, je déposai délicatement quelques jonquilles, symbolisant la promessede retrouvailles.

Loup des bois et des rêves (M/M)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant