Parsec 33 = La faute à qui ?

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           Le corps chitineux noir d'Elig, secoué de convulsions de rage, paraissait sur le point de se rompre. Sa face oblongue déformée par la présence de l'ombre en lui semblait encore plus tordue sous les rires hystériques qui s'élevaient de sa gorge. Le ko qui corrompait le corps de l'ancien Passeur devenait fou de désespoir, de voir ses plans contrecarrés.

– Ainsi tu me voles mon épée... Tu avais tout manigancé, hein ? Mais tu n'auras pas les Gardiens ! Tu n'auras pas les âmes que j'ai emprisonnées depuis mon arrivée ici ! Tu n'auras plus RIEN ! RIEN TU ENTENDS ?

           D'une démarche de drogué en manque, les yeux rouges s'agitant dans toutes les directions, l'ombre entreprit de se rapprocher de Karon, bien décidé à l'éliminer d'une manière ou d'une autre — même sans Kaletvor.

– Tu m'as forcé à vivre... Tu m'as tué... Tu m'as amené dans cet endroit de morts-vivants... Tu m'as obligé à travailler après mon trépas... Soumis à une bande d'horribles créatures qui se croyaient supérieures à moi... Et tu m'as toi-même rabaissé, Karon... Combien de fois me comparais-tu aux autres ? Combien de fois t'ai-je entendu dire « regardez comme ce petit se démène pour maintenir le rythme ! » Ou bien encore, « voyez comme j'avais raison de lui offrir une seconde chance ! »... Ah Karon... Karon... COMME SI JE DÉSIRAIS TA FOUTUE CHANCE !

           Sa main partie vers l'avant, déployant une forte énergie sombre qui claqua dans l'air comme un drapeau et qui éclata contre Karon, toujours sonné par le passage de l'épée du Destin dans son corps. Il se prit l'attaque imprévue d'Elior de plein fouet, projeté vers l'arrière où il écrasa contre une colonne qui traînait, avant de s'effondrer face contre terre. Un léger gémissement lui échappa, tandis que son esprit embrouillé par la douleur et sa fusion d'âme trop récente essayait de démêler ses pensées incohérentes.

          Pendant ce temps, insouciant aux tourments de sa victime, l'ombre s'approchait encore, grimaçante et ivre de colère.

– N'as-tu donc jamais vu à quel point je détestais cet Axial de malheur ? N'as-tu jamais compris, ô être primordial si puissant, que tu me donnais envie de vomir, avec ta morgue, ta supériorité, ton pouvoir et tes croyances si affectées ?

          Le ton presque doucereux d'Elior paraissait de plus en plus menaçant à Karon, qui tenta de se redresser tant bien que mal, à mesure qu'il se rapprochait de lui. Mais trop tard... L'ombre surplomba soudainement celui sans qui rien ne serait arrivé et le frappa de toutes ses forces à plusieurs reprises, de ses bras surpuissants par ce corps d'emprunt si évolué, bien différent de sa première forme.

– TOUT CE QUI T'IMPORTE C'EST TOI ET UNIQUEMENT TOI, KARON !

          Les hurlements d'Elior déchiraient l'air surchargé d'électricité de la salle. Terrassé par sa douleur et cette atmosphère invivable, la première âme du massivers se retrouvait à subir les coups, impuissante, et le corps meurtri. Il allait implorer Elior de cesser, lui demander ce qu'il désirait de lui, promettre tout ce qu'il voudrait, quand ce dernier arrêta naturellement, un grondement de plaisir malsain au bord des lèvres.

– Non, commença-t-il encore plus délicatement qu'avant. Hors de question de te tuer si rapidement... Je vais d'abord détruire tout ce que tu possèdes de cher à tes yeux, pour bien te faire comprendre la notion de souffrance que j'ai vécue durant mon mandat de Passeur... et seulement ensuite, je t'achèverai. Inutile d'être aussi expéditif et insensible que toi, Monsieur Tout Puissant Karon, n'est-il pas ?

          Le corps d'Elig se courba pour mieux venir arracher les cheveux d'un Karon toujours douloureusement silencieux. Son visage défoncé par les horions de son bourreau improvisé, l'œil éteint par ce qu'il vivait depuis quelques instants, il ne parvenait plus à rassembler les pièces du puzzle déformé de ses souvenirs. L'avalanche de reproches et de coups d'Elior ne l'aidait vraiment pas à se remettre.

Le Passeur de Mondes [En correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant