Parsec 29 = Deux sur trois

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          Des milliers de questions gravitaient dans l'esprit de Yann après toutes ces révélations sur ses origines. Mais une partie d'entre elles s'intéressaient essentiellement à cet « Elior », puisqu'à moins de se tromper, en dehors du Mestre, le temps était suspendu ; avec l'épée du Destin contre sa peau. Après toutes ces images, ces idées, ces émotions, il devait admettre avoir du mal à faire la part des choses et surtout considérer l'urgence de la situation. La gardienne du Mestre ne lui aurait pas fait remarquer qu'il l'aurait presque oublié : le tableau paraissait désespéré.

          Avec un demi-sourire, Yann reconnu silencieusement avoir reçu une claque, ou même un seau d'eau sur la tête, de quoi le réveiller de sa bienheureuse inconscience. Que disait madame Red déjà à ce propos ? Que son ouverture d'esprit aux dures réalités risquait de ramener des nuages dans son ciel azur ? Enfin, une métaphore dans ce genre, en tous les cas. Penser à cette étrange « femme » le fit sourire un peu plus. Il se sentait tellement perdu, que se souvenirs de sa rencontre avec elle, sur une plage normale du Mexique, lui offrait un sursis agréable. Il ne savait vraiment pas combien il pourrait donner pour retourner en arrière...

– Bon, bon bon...

          L'ombre qui chassait les Gardiens sur l'Axial pouvait être Elior revenu du passé pour se venger de sa défaite. Son âme à cette époque, qui semblait puissante, s'était scindée en deux pour le vaincre. Peut-être commencer à réfléchir par là serait judicieux.

– Gardienne du Mestre... Hmm... Existe-t-il un gardien pour chaque... euh... Le Voyageur, Pallium et Kaletvor, vous savez ?
« Nous sommes tous les quatre reliés à l'Orin, chacun a développé son propre mode de communication et de défense. Dans mon cas, je fais partie du Mestre que je garde, tel un trésor. Et j'empêche quiconque n'étant pas habilité à consulter le Ko Dex. »
– Donc si Elior parvenait à vous voler... ?

          Il sentit une légère hésitation dans la réponse de cet être lumineux qui avait pris l'apparence d'une femme aux traits et aux allures si proche de sa défunte mère ; de quoi le troubler toujours plus.

« Nos consciences se choqueraient dans une lutte mortelle, lui pour me forcer à coopérer, moi pour m'y refuser. Impossible de déterminer par avance le gagnant. »

          Yann hocha pensivement la tête, portant sa main sur son menton en une attitude méditative qui lui correspondait bien à ce moment précis. Lentement, il se mettait à trier ses données afin de trouver une solution. Et pour l'heure, il rechignait à devoir admettre certaines théories...

– Et pour Kaletvor, comment cela se passe-t-il ?

          L'étincelante gardienne du Mestre prit un air gêné avant d'étendre sa main, supprimant les images immobiles face à eux. Elle remplaça le film étrange de la vie de Karon par une représentation de la salle des Fondateurs. Là, au centre, Yann se vit allongé sur le dos, l'épée du Destin frôlant sa peau, maintenue par les doigts étranges d'Elig contrôlé par l'ombre. Non loin d'eux, Sophos, l'actuel Gardien du Temps, tendait le bras pour suspendre le temps entre eux. Mélana plus loin se retrouvait elle aussi immobilisée. Seuls les Fondateurs, encore alertes, s'étaient rapprochés de Sophos pour l'aider à maintenir sa concentration le plus longtemps possible.

           Lorsque la gardienne du Mestre se mit à parler, Yann fut légèrement étonné, tout à la contemplation de cette scène étrange, qu'il comprit comme une projection en temps réel des événements hors de ce « livre ».

« Chaque entité protégeant l'un des quatre objets créés durant l'anabiose possède sa propre conscience et façon d'appréhender le monde, généralement découlant du rôle même de l'artefact qu'elle garde. Ainsi, en tant que garante de l'intégrité du Mestre, de la Mémoire, des souvenirs, du passé, je suis restée très proche et protectrice. Une attitude assez... conservatrice. Et bien que nous soyons tous les quatre sur un pied d'égalité, celle qui gère Kaletvor et moi-même avons toujours considéré que nous étions des opposées dans nos conceptions de nos rôles respectifs. »
– Dans mon pays, de mon monde, de mon univers et tutti cunti, nous appelons votre discours « tourner autour du pot » ! Soyez plus clair, s'il vous plaît.
« Soit. La gardienne de Kaletvor ne conçoit pas de rester dans l'épée. Elle s'incarne dans un être vivant dont le Destin possède une ligne directrice proche de celui ou celle qui l'intéresse, afin de pouvoir surgir au moment opportun et agir s'il le faut. S'il lui faut intervenir, elle n'hésite pas à régler la situation à sa manière, même s'il lui faut modifier plusieurs destinées et chambouler de nombreuses vies... Elle essaye toujours d'offrir de l'espoir, mais elle vit essentiellement dans le futur et après son passage, les traces sont souvent indélébiles... »

Le Passeur de Mondes [En correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant