Le Passeur de Mondes [En correction]

Parsec 38 = Heure H

          Mélana contemplait Elig d'un air hébété. Juliette la fusillait du regard, déterminée à se battre encore, contre quoi, le mystère restait entier, mais contre un vilain, cela, elle en était sûre ! Quant à Elig, prostré sur le sol, il luttait désespérément contre l'âme d'Elior reléguée dans un coin de son esprit où Sophos essayait de l'enchaîner assez longtemps pour permettre à la Gardienne de la Mémoire de trouver une solution.

– Qu'est-ce que je peux faire... ? murmura cette dernière, angoissée et fiévreuse à l'idée de perdre un temps précieux dans sa réflexion.
– C'est un ennemi ou pas alors ? gronda la femme de Yann, le regard fou passant de sa victime potentielle à Mélana à ses côtés.

          Mais aucune réponse ne daigna lui parvenir, la laissant dans une attente insupportable. Fixée sur ses pensées, la Gardienne songeait aux possibilités offertes et en arriva à la conclusion logique qu'elle ne possédait pas les pouvoirs pour s'occuper d'une ombre. Il fallait la ligne de défense du massivers... Elle devait donc sauver Karon. Mais que faire de lui en attendant ?

« Si je peux me permettre, j'ai une proposition... » énonça la voix lointaine de la gardienne du Mestre.

          Ayant délaissé l'objet au profit de la vieille couverture qu'elle suspectait être le Pallium, Mélana eut un coup au cœur quand elle entendit l'entité contenue dans le livre de la Mémoire. Son regard rempli d'optimisme se dirigea vers les pages reliées avec espoir.

« Il semblerait qu'une unité dimensionnelle de confinement soit toujours active. Nous pourrions y laisser le corps soumis afin de contenir Elior quelque temps. »

          Quand bien même Mélana ignorait ce que pouvait bien représenter une unité dimensionnelle de confinement, il lui suffit de plonger dans les souvenirs du Mestre pour en retirer toutes les informations essentielles. Ceci effectué, elle hocha vigoureusement la tête et avança la main vers le Voyageur, immobile.

– Permet que je me serve de toi consciemment une fois, Ô Voyageur de l'Espace... J'ai ardemment besoin d'aide.
« Ceci est contraire au pacte établi, Gardienne... » commença celle qui veillait sur le Mestre.

          Ils ne possédaient pas assez de temps pour tout expliquer ! Mélana le sentait au fond de son cœur, une sorte de compte à rebours invisible défilait au-dessus de leur tête : celui des Gardiens encore captifs, celui d'Elig dont les forces psychiques faiblissaient à mesure qu'il contenait Elior, enfin celui du massivers entier, qui continuait sa lente dégradation... La main de la Gardienne se referma sur le long bâton toujours stoïque qui lévitait à quelques centimètres au-dessus du sol. Avec un soulagement ineffable, il ne la rejeta pas, se laissa même guider jusqu'au corps d'Elig, prostré à terre. Là, Mélana déposa la tête du Voyageur contre l'épaule chitineuse sombre de son ancien collègue et implora mentalement l'artefact contenant les pouvoirs de l'Espace d'envoyer leur ennemi dans l'unité dimensionnelle de confinement.

– Je t'en prie, Voyageur... Je t'en supplie... Offre-nous quelques précieuses minutes...

          Son souhait rencontra le regard épuisé et meurtri d'Elig, qui contemplait la jeune femme avec un respect nouveau mêlé de crainte. Quelques jours plus tôt, lui qui se croyait l'un des Passeurs les plus importants de l'Axial, fier des règles établies et de son autorité fictive sur ses collègues, se retrouvait à devoir lutter contre une âme corrompue, quasi impuissant. Lui, un inébranlable guerrier Klux ! Lui, un ancien général absolu de sa race ! Lui, le plus fervent et incorruptible des Passeurs ! Lui, promis à un bel avenir de possible Gardien... prostré aux pieds de Mélana, petite femme frêle qu'il avait toujours jugée comme « sans caractère » ou « trop idiote pour aller loin » mais « plutôt gentille fille »... Amer destin.