Le Passeur de Mondes [En correction]

Parsec 5 = Vertige - partie 1 (v2)

          La main qui traversait sa poitrine transforma son cœur en une rotative endiablée par la peur. Son cerveau se figea, gelé, tandis que des flashs de souvenirs en patchwork défilaient dans son esprit. Et toutes ses pensées ne criaient plus qu'un seul mot : danger.

          L'inconnue eut beau retirer ses doigts, Yann s'effondra au sol en pleurs. Son corps tétanisé tressautait sous l'effet du traumatisme d'un passé oublié. Il ne ressentait plus rien, sinon la douleur de son cœur arraché... Tout se mélangea pour ne former qu'une plaie béante.

– Arun ! Vous devez vous reprendre !

          Elle s'était penchée sur lui, ses mains soudain tangibles sur ses épaules, bien décidée à calmer cette crise totalement imprévue, sans succès. Tous ses arguments restèrent lettre morte...

– Je suis désolée, souffla-t-elle, au final.

          Son poing frappa avec violence la tête de son protégé qui s'effondra, inconscient. Elle ignorait encore si, à son réveil, il se souviendrait des origines de son angoisse, mais pour l'heure, ils devaient avancer. Cette erreur pourrait être celle de trop... Et tout cela à cause d'elle... Ses lèvres se pincèrent de rage.

– Que le Gardien du Temps soit avec nous...

          Elle le savait bien la femme-statue, au fond d'elle, que cette prière ne servait qu'à rassurer celui qui la prononçait, mais pour le moment, mieux valait cela que rien du tout. Un grigri avait au moins le mérite d'apaiser son esprit de la catastrophe qui se jouait peut-être, en ce moment même, au centre du massivers.

          Si le Dévoreur de Mondes avait atteint l'Axial, alors...

          L'immense salle plongée dans la pénombre n'avait pas changé. Ses larges fenêtres arrondies permettaient d'admirer l'univers autour, ses murs et son sol blanc immaculés reflétaient efficacement la lueur de l'imposant édifice central. Ce dernier, une sorte de bobine géante de feuilles superposées, piquetées de points lumineux s'effilochant par endroit en fils colorés qui déambulaient sur l'étrange partition. Face à lui, figé telle une statue, son regard cosmique rivé dessus, un gigantesque dragon-chien aux écailles bleutées contemplait ce spectacle unique.

          Kunlung Maggwhech, Gardien de la Mémoire, consultait le Ko'Dex, assemblage impressionnant de tous les souvenirs de l'ensemble des univers.

          Ses yeux brillants reflétaient les milliers de lueurs qui notaient inlassablement les informations d'autant d'âmes. Parfois s'attardait-il sur l'une ou l'autre des pages qui défilaient, pour mieux comprendre le souvenir inscrit, avant de passer à la suivante. Il paraissait rechercher un élément bien précis.

          Ses longues moustaches frémirent soudain au souffle ténu d'un courant d'air. Malgré sa concentration, il se ressaisit d'un ample mouvement de son corps. Il s'enroula rapidement autour du Ko'Dex qui se rétracta à son contact comme s'il réagissait à un ordre silencieux. Il se referma dans un chuintement sourd, à peine perceptible. Les trois sceaux sur son armature furent repoussés d'un raclement de griffes de Kunlung, immobile sur la bobine de souvenirs.

– Qui va là ? gronda-t-il avec ses babines retroussées qui dévoilaient ses crocs.

          La disparition de la douce lumière du Ko'Dex amena la pénombre où seule la lueur des étoiles brillait. Trop peu pour percevoir une forme ou remarquer le nuage sombre qui serpentait lentement au sol...

« Mééééééémoooooiiiiirrreeeeee.... » siffla une voix aiguë désagréable.

          Au même instant, toutes les fenêtres furent recouvertes par un amas gélatineux qui obstrua la vue des astres et plongea alors la salle dans le noir complet ; les ténèbres absolues. Comme par réflexe de défense, tout le corps de l'immense dragon-chien commença à briller de mille feux, telle une galaxie aux mille couleurs.

– Ne crois pas pouvoir m'avoir aussi facilement, Tsél !
« Shhhhhh... À mooooooooooiiiiiii... » répliqua le Dévoreur dans un gargouillis visqueux.

          L'ombre rampa jusqu'au Ko'Dex, s'englua à sa base avant de remonter telle une larve vers son sommet, où le Gardien de la Mémoire l'attendait, impuissant. Ses écailles illuminaient à peine l'immondice noirâtre qui engloutissait tout sur son passage.

          Le regard du dragon-chien, qui habituellement reflétait le cosmos, brilla soudain d'or et se fixa sur son adversaire avec détermination.

– La Lumière arrive, car du plus profond des Ténèbres, toujours elle les repoussera. Tu ne peux pas la tuer, Tsél ! déclama Kunlung.

          Une lance de noirceur s'élança, à ces mots, à travers la salle vers le Gardien. Elle le transperça si fort que son corps faillit choir. Les yeux dorés du protecteur des souvenirs s'écarquillèrent tandis qu'il se raccrochait désespérément au Ko'Dex à l'aide de ses griffes. Il se sentit partir en arrière. D'instinct, son attention se fixa vers la lame qui venait de le frapper. Recouverte de liquide immonde qui dégoulinait en gouttes graisseuses, des caractères sombres gravés dans le métal se détachaient néanmoins : Équilibre. Ordre. Éternité. La devise des Passeurs d'Âmes ! L'épée du Destin : Kaletvor.

– Pour...quoi ? balbutia Kunlung.

           Cet artefact, forgé par Karon à la création du massivers, laissée à la garde des Gardiens du Destin... Si ce Dévoreur de Mondes la possédait, alors cela signifiait qu'elle avait échoué... Qu'est-ce que cet amas visqueux allait-il faire de lui ? Le tuer ? Il briserait le cycle des Gardiens de la Mémoire ! Ce serait une catastrophe !

« A mooooooooooiiiiiii.... » éructa la masse de matière sombre indéfinissable.

          Kunlung sentit ses forces le lâcher : leur ennemi désirait contrôler les souvenirs et réduire leur Gardien à néant ! Il se mit à lutter contre l'arme, mais c'était peine perdue. Il sombra peu à peu dans l'inconscience du vaincu à travers sa chute inéluctable, tandis que du coin de l'œil, son regard remarquait une fine silhouette se détacher d'une pointe de lumière, au loin, pas plus grosse qu'une tête d'épingle.

" La Lumière arrive... " avait-il prophétisé.

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