Parsec 23 = Karon

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           Un espace grand ouvert à mi-chemin du jardin et de la colline ensoleillée, somnolente dans une ambiance mystérieuse et glauque de brume, s'étendait sous ses yeux. Miélyr contempla le petit ruisseau sur le côté, ainsi que le bosquet d'arbres sombres recouvert de mousse et de champignons. Tout semblait engourdi, sauf les quelques lucioles qui éclairaient faiblement la scène crépusculaire.

– Où je suis... ?

           Elle n'avait pas le moindre souvenir d'un endroit tel que celui-ci. Ses petits pieds fins se frayaient un chemin à travers l'herbe tendre. Et à mesure qu'elle avançait, elle se rapprocha d'un arbre plus imposant que la moyenne ; il déployait ses branchages vers l'avant, recouvrant à demi un bâtiment délabré en partie écrasé et rongé par la nature environnante. Au-delà, des marécages s'étendaient à perte de vue.

– Je ne comprends pas... Karon ?

           La femme Passeur tournait la tête de toute part, dans l'idée de retrouver celui qu'elle était venue chercher. Son image retentissait dans sa mémoire tel un clairon, sans qu'elle sache comment elle possédait encore ce souvenir. Un doux cri animal la ramena vers les ruines en contre-bas. Elles rentraient dans le sol, s'enfonçant sous terre. Miélyr déglutit avant de prendre la direction de l'ouverture béante et noire face à elle. L'odeur, le bruit, son instinct, tout semblait l'attirer vers ce lieu glauque et inquiétant perdu dans cet endroit inconnu.

           Il faisait sombre et elle ne voyait pas à plus d'un mètre devant elle, avant que l'obscurité n'envahisse entièrement la zone. Pourtant, Miélyr continua à marcher, comme poussée par une main invisible. Ce fut lorsqu'elle eut l'impression d'être totalement égarée qu'une faible lueur minuscule attira son regard ; ses pieds se déplacèrent immédiatement dans sa direction.

           Sa vision perçut d'abord les rayons de lumière diffus, avant de discerner les couleurs chatoyantes de l'arc-en-ciel. Accélérant le pas, elle finit par courir à travers le couloir de terre moite aux odeurs agréables de nature humide. À sa stupéfaction, Miélyr déboucha dans une grande fosse baignée de clarté, rafraichie par un bassin dans un coin et des lianes cascadant d'une large ouverture au plafond. Au centre, un socle unique pourvu d'une fente vide, rongé par le temps et la moisissure. Plus loin encore, un immense cristal aux centaines de couleurs miroitant dans les yeux de la jeune femme obnubilée.

– Mais qu'est-ce que...
« Tu es enfin venue, Miélyr... Que se passe-t-il ? »

           La voix qui résonna à ses oreilles la fit sursauter violemment.

– Vous êtes... Karon ?!

           Quelques secondes de silence, juste un temps en suspend, une angoisse au fond d'elle... L'endroit l'obligea à tourner la tête et elle eut la sensation qu'un être supérieur la sondait.

« Tu as perdu la mémoire. C'est pour cette raison que tu n'es pas revenue plus tôt... Je comprends mieux. »
– Êtes-vous ou n'êtes-vous pas Karon ? hurla-t-elle, morte d'angoisse.
« Non, Miélyr. Karon n'est plus une seule personne. C'est une idée, un projet fou d'une âme très ancienne. Son implication au sein de l'Axial était tel, qu'il se refusait d'abandonner son rôle entièrement. Alors il a scindé son Ko en deux parties égales, confiant une moitié à la Rivière des Âmes et aux cycles de réincarnation, enfermant l'autre dans ce fragment d'éternité. »

           Les délicats sourcils de la jeune femme se fronçaient à mesure que le « cristal » s'exprimait. De nombreux éléments continuaient d'être incompréhensibles, mais elle admettait que sa perte de mémoire devait causer quelques perturbations.

Le Passeur de Mondes [En correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant