Parsec 2 = Madame Red - partie 1 (v2)

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          La première fois qu'il avait regardé la voûte céleste, Yann avait eu l'impression de plonger dans la mer. Submergé par l'immensité du ciel étoilé, il avait repris sa respiration, non sans difficultés, avant de le contempler à nouveau, fasciné. Et si, aujourd'hui, il passait ses journées à étudier l'espace dans l'espoir de lui soutirer des vérités que personne d'autre n'avait découvertes encore, à chaque fois qu'il contemplait le ciel, il conservait cette impression d'enfant que la Voie Lactée baignait dans une mer déchaînée d'étoiles.

– Hey, tu dors ?

          Yann sursauta et reprit pied dans la réalité. Il se tenait sur un balcon, dont la vue splendide sur le lac Chapala, en contrebas, narguait les touristes de ses eaux bleutées miroitantes. La ville de Guadalajara se dressait vers le ciel bleu de ses toits colorés et ses églises blanches parés pour la fête grâce au soleil éclatant qui s'imposait en ce début automne. Et un délicieux arome de sucre caramélisé emplissait l'air chaud en cette belle matinée.

– À quoi pensais-tu, encore ? On va être en retard ! s'impatienta Pierre.

          Il répondit d'un simple hochement de tête. Il partageait avec lui une chambre d'hôtel, plus par habitude superstitieuse que réel besoin. Lors de leur premier congrès international d'astronomie, Pierre s'était trompé lors de la réservation et ils s'étaient retrouvés coincés ensemble dans la même chambre. D'abord réticents, leur escapade avait vite tourné à la colonie de vacances, scellant le sort de leurs futurs déplacements. Depuis lors, ils continuaient de dormir dans une suite unique, comme pour « conjurer le mauvais sort ». Quitte à voir leurs épouses désespérées par tant de bêtise venant de deux brillants scientifiques.

– Le taxi sera là dans dix minutes, t'as mangé ? demanda-t-il non sans remarquer la mise défaite de son collègue. Ta cravate est à l'envers, attends donc ! grommela Pierre avant de se rapprocher pour l'aider à la nouer.

          Un comble pour un homme qui n'arborait que des nœuds papillons ! Soi-disant qu'ils offraient un air plus « sérieux », pour un astrophysicien, aux yeux du grand public. À ceux de Yann, il s'agissait soit d'une excuse pour en porter, soit d'un accessoire « vieux jeu », au grand dam de son ami. Mais Pierre ne s'arrêtait pas là. En effet, il possédait un tas d'autres principes dans sa vie de tous les jours qui faisaient halluciner son jeune ami... comme préférer le croissant au pain de mie le matin ; ne pas consommer de café au-delà de dix-sept heures le soir ; ou bien encore de ne jamais porter de vêtement vert s'il devait parler à une conférence, comme aujourd'hui.

          Yann plaisantait souvent sur ses petites manies, mais Pierre le lui rendait bien et lui pointait du doigt ses propres tics et travers avec un plaisir de vilain garçon. Ils comptaient les points entre eux, par plaisir infantile. Quand l'un obtenait le dernier mot, il ne le conservait généralement pas bien longtemps.

– Tu aurais dû mettre du bleu, le rouge t'a toujours donné un air de papa Noël ! répliqua Yann pour asticoter son collègue.
– On a bien assez de bleu avec toi, tu sais ? Tu détestes l'eau mais tu portes toujours cette couleur, faudra que tu m'expliques, un jour ! Par toutes les étoiles de tous les univers, comment peux-tu aimer le bleu, Yann ? bougonna-t-il pour toute réponse.

          Ils souriaient à moitié tous les deux, comme deux mioches qui se chamaillaient par plaisir d'être ensemble et de bien s'entendre. Pierre connaissait assez la phobie aquatique de son ami, surtout concernant les eaux profondes. Et même s'il ne le comprenait pas vraiment, il respectait sa peur. En échange, Yann réagissait de même avec sa claustrophobie maladive...

– Je la trouve belle... quelque chose m'attire chez elle et m'apaise ! Je n'y peux rien et je ne me l'explique pas !

– Mais un plongeon en piscine te fait fuir en courant, soupira Pierre.

Le Passeur de Mondes [En correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant