Le Passeur de Mondes [En correction]

Parsec 39 = Les fils du Temps

           La béatitude absolue d'un univers dépourvu de bien ou de mal, d'idées et de sentiments, d'identité et d'angoisse... Qui était-il ? Il n'en savait rien et s'en désintéressait. Que faisait-il en ces lieux ? Il n'en savait rien, mais appréciait sa vie. Pourquoi aurait-il le désir de s'éloigner d'ici ? Qu'importait, d'ailleurs, où il se trouvait. Qu'importait... tout.

« Tu ne peux pas rester ici. »murmura une petite voix énervante.

           Il s'agissait d'une seule personne, qui le harcelait. Inlassablement, il lui faisait des remarques pour le forcer à réfléchir et lui ne voulait plus ! Pourquoi refusait-il de comprendre cela ? Ne plus penser et surtout pas à son passé ou son futur... Vivre l'instant présent, parfait et absolu, sans s'intéresser au reste.

« Ton Destin n'est pas ici... Te souviens-tu des raisons qui t'ont amené ici ?
– Laisse-moi. »

          Paisiblement, il s'éloigna de cette voix désagréable, quand l'impression d'une chape de plomb posée sur sa tête le fit lourdement chuter. Pourquoi ne flottait-il plus ? Que se passait-il ? Qu'on le laisse tranquille ! Il ronchonna d'autant plus fort qu'il se sentait perdre peu à peu sa sérénité bienfaisante.

« C'est lourd ! Je n'vole plus ! Laissez-moi ! Je refuse d'être emprisonné ! Aidez-moi ! » se plaignait Karon de plus en plus fort.
« Non. Il est l'heure. »

          D'une allure de tortue asthmatique, la petite luciole qui l'embêtait depuis le début se rapprocha de lui et examina le tissu qui venait de s'abattre sur sa tête. Après plusieurs secondes de réflexion, le ko se retourna vers le reste des Âmes Déchues.

« Compagnons d'Éternité, le moment que nous attendions tous est arrivé ! Karon a besoin de nous et il nous faut reconstituer le Pallium. Êtes-vous prêts ? » Sa voix autoritaire et bienveillante porta aux quatre coins de la salle, attirant à lui toutes les lucioles qui nageaient dans les airs en harmonie avec des courants qu'elles seules voyaient.

          Un mot de lui et ils se réunirent tranquillement au chevet de Karon, tapissant la vieille couverture délavée de leurs lumières pâles. Cet amas de petites sources de clarté créa bientôt un minuscule soleil au cœur même de l'endroit, inondant les parois sombres de rayons multicolores tourbillonnants. Peu à peu, leur seule présence devint aussi magnifique qu'une aube éclairant l'immensité d'un océan, modifiant toute la salle en un splendide cœur palpitant dénué d'ombres, gorgé de jaune, d'orangé, de rouge, de vert, de bleu et de violet. Et tandis que la lumière revenait en ces lieux, ils changeaient à leurs tours. Les murs se modifièrent pour se creuser, se bomber et se graver de symboles, le sol s'ouvrit en un large bassin au milieu duquel une minuscule plateforme soutenait toutes les petites lucioles. Enfin le plafond ressembla une seconde à la surface d'un lac dérangé par la chute d'une pierre, avant de se tendre vers le bas et s'évaser telle une fleur qui s'ouvrit lentement.

          Au centre de cette rosace impressionnante, un emplacement vide. Mélana l'observa longuement avant de comprendre immédiatement ce qu'il manquait à cet endroit précis : le Fragment d'Éternité ! Ce lieu serait donc le cœur de l'Axial... ? Mais comment toutes ces Âmes Déchues venaient-elles de révéler cela... ?

– C'est magnifique, souffla Heman avec une piété déférente.

          Pour seule réponse, la Gardienne de la Mémoire hocha doucement la tête. Tout ce qu'elle contemplait face à elle lui restait obscur et elle n'avait pas envie de récupérer le Mestre pour obtenir les informations. Elle désirait apprécier cette minute qui paraissait magique de son regard innocent, encore quelques instants.

           Un formidable flash obligea les deux spectateurs à se cacher les yeux.