Parsec 9 = Clair-obscur - partie 2 (v2)

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          À l'annonce du « Dévoreur de Mondes », son guide qui ressemblait à une souris géante aux grandes dents s'était mis à trottiner dans tous les sens. Ils venaient de parcourir des dizaines de salles toutes différentes les unes des autres à une allure vertigineuse, sous un monologue ininterrompu de sa part. Discours incompréhensible pour Yann, tant il était décousu, rempli de références obscures et marmonné en majorité entre deux tons.

– Où allons-nous, déjà ? relança-t-il « Kid'cha » pour l'énième fois.

          Face au nom entier imprononçable de ce Gardien de l'Espace, il avait opté pour le diminutif proposé à leur première rencontre. Diantre ! Elle ne devait dater que d'une heure à peine, pourtant, l'astrophysicien aurait juré qu'il connaissait son guide depuis plus de trois mois. Sans doute de par de son débit de paroles quasi ininterrompu... D'ailleurs, c'était aussi à cause de cela qu'il n'obtenait aucune réponse depuis un moment, comme si cette souris géante réfléchissait et parlait pour lui-même.

– Où sont-ils, tous ? C'est quoi cette bêtise ? On se croirait à A'Shen'Kra en pleine nuit ! Bon, sauf les voleurs, les coupe-gorge et autres malandrins du bas quartier, bien sûr. Sacrée ville de fous, si vous voulez mon avis ! Un jour, faudra bien qu'ils remettent de l'ordre dedans. Qu'est-ce que vous en dites ?
– Que j'y comprends rien ? proposa Yann.
– Oui, vous avez raison, rien ne changera les humains. Le pire fléau de Valdoria, si vous voulez mon avis. Aucune reconnaissance pour mon peuple – ni les autres. Après tout, c'est de leur faute si les Norvans ont été décimés. Et dans un sens, même les Leiyong ! Faudra que vous demandiez au Gardien du Temps des précisions... Par tous les Aspects, j'espère qu'il est en sécurité ! Déjà que la Gardienne du Destin n'a pas montré le bout de son nez depuis... pfiuuu, une éternité !
– Kid'cha...
– Mais elle aussi, elle est capable de se cacher ! Je ne devrais peut-être pas être aussi nerveux, si ?
– Kid'cha !

          Le cri désespéré de Yann figea le petit Gardien qui pivota lentement vers celui qui le suivait depuis un bon moment. Ses grands yeux ronds globuleux paraissaient encore plus dilatés, comme s'il venait d'avoir la frayeur de sa vie. Il croisa alors ses mains l'une contre l'autre afin de torturer ses doigts. Cette fois, il ressemblait à un gosse grondé qui allait se mettre à pleurer.

– Oui ? croassa sa voix haute perchée.

          Une révélation évidente perça la brume qui obscurcissait l'esprit de Yann : il avait peur.

– Puisque vous vous considérez vous-mêmes comme « mort », pourquoi craignez-vous ce Dévoreur de Mondes ?

          Tel un gros rocher qui viendrait soudain tomber dans un lac, sa question créa des ondulations inattendues et incroyables. D'abord, à l'évocation du nom de leur ennemi, le Gardien émit un petit bruit encore plus aigu que le précédent, très proche de celui d'une souris prise en flagrant délit de consommation excessive de fromage. Ensuite, l'image qu'il renvoyait se troubla assez pour que Yann pût apercevoir l'âme bleutée derrière l'illusion de son corps, qui clignotait un peu, semblable à une ampoule mourante. Enfin, il le contempla, impuissant, foncer vers un mur et n'eut ni le temps de l'arrêter ni celui de réagir. Kid'cha tordit l'édifice face à lui d'une simple pression de sa main et disparut dans un nouveau couloir qu'il venait à peine de créer.

          Seul au milieu de nulle part, tel un parfait imbécile, Yann soupira avant de se précipiter à sa suite. Dire qu'il avait réussi à l'effrayer d'une question anodine l'inquiéta qu'un peu plus. Il commençait à envisager la désagréable vérité qu'il existait bien pire qu'une mort physique dans ce qu'ils appelaient le « massivers »...

– Dans quel guêpier me suis-je fourré, moi ?

          S'il se retrouvait là, à devoir poursuivre une souris géante douée de parole à travers un bâtiment alvéolaire de la couleur de la crème fraîche, c'était uniquement à cause de Mélana qui l'avait sauvé de la noyade dans le lac Léman. Déjà qu'il doutait d'être encore en vie, il préférait laisser de côté les conséquences éventuelles pour lui-même d'une telle situation. Non, alors qu'il courait à perdre haleine à travers des tunnels que le Gardien creusait à une allure de voiturette de golf, il décida de ressasser les remarques de cette femme-statue. Seul Pierre, son meilleur ami, connaissait l'un de ses petits secrets le mieux préservé : sa fabuleuse mémoire. Même si le monde autour de lui paraissait sortir d'un délire psychotique, il pouvait toujours essayer de démêler la situation. Après tout, la possibilité que toute cette folle histoire fût réelle existait bel et bien...

Le Passeur de Mondes [En correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant