Parsec 1 = Big Bang - partie 2 (v2)

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          Sitôt Lola déposée à son lycée privé, Yann prit la direction du périphérique, bien décidé à arriver à l'heure, malgré tout. Son esprit s'éloigna à nouveau de sa petite famille pour dériver sur l'article de ce matin : « Le Big Bang a-t-il réellement eu lieu ? », qu'il avait écrit en collaboration avec Pierre Bertrand, son collègue et ami. Celui-là même qui l'avait d'ailleurs appelé un peu plus tôt, afin de le presser de venir le plus vite possible au travail, pour une obscure raison.

          Sa main enclencha la radio par habitude. Il la régla sur les informations par d'autres gestes tout aussi machinaux que le premier. Tous les matins, il l'allumait comme un rituel, même s'il ne l'écoutait pas — juste entendre les voix en bruit de fond l'aidaient à réfléchir. Et si Pierre le comprenait pour beaucoup d'hypothèses scientifiques, il lui détestait cette sale manie. Pour le brillant physicien de l'université Pierre et Marie Curie, rien ne valait le silence pour se concentrer ! En cela ils s'opposaient telle l'eau et l'huile.

          Il sortit du périphérique bondé et bifurqua de ruelles en avenues, jusqu'à rejoindre les quais de la Seine, clôturés. De larges barricades disposées au travers de la chaussée empêchaient les automobilistes de circuler.

– Tiens... Que s'est-il passé ? s'étonna-t-il tout haut.

          À peine se posait-il la question qu'un policier toqua à sa vitre, qu'il baissa, perplexe.

– Excusez-moi monsieur, mais vous ne pouvez pas rester là, commença l'agent.
– Pourquoi est-ce fermé ?
– Les fortes inondations des derniers jours ont fait monter le niveau du fleuve. Où allez-vous ?
– Laissez, je connais, je vais me débrouiller, merci.

          D'un hochement de tête entendu, ils se souhaitèrent la bonne journée et Yann fit marche arrière avant de choisir un second itinéraire. D'habitude, il l'utilisait pour esquiver les bouchons des quais de Seine. Il frissonna à l'idée d'un raz-de-marée en plein Paris avant de se morigéner lui-même. Ils ne se trouvaient pas dans un film catastrophe à gros budget, voyons ! Mais sa phobie de l'eau le submergeait déjà malgré lui. Il repensa à sa femme et sa fille pour empêcher son esprit de s'emballer.

          Le calvaire de la conduite s'acheva face à un grand bâtiment blanc délavé : l'I.A.P. L'Institut d'Astrophysique de Paris représentait un observatoire des sciences de l'univers et faisait partie de l'Université Pierre-et-Marie-Curie d'où provenait justement Pierre. Ce dernier avait presque grandi là. Pour Yann, il s'agissait d'un univers loufoque qui se voulait sérieux, un étrange paradoxe qu'il ne parvenait pas à élucider.

          Il se gara sur la première place venue, sortit de sa voiture bleue nuit, choisie par sa femme, et s'engouffra dans le gros bâtiment. Il prit les escaliers vers les bureaux de l'équipe de recherche en astrophysique, non sans un rapide coup d'œil vers la bibliothèque silencieuse. Arrivé à son étage, il s'achemina jusqu'à leurs bureaux. Il salua au passage les connaissances déjà au travail, ou qui n'avaient même pas pris la peine de rentrer chez elles, la veille au soir. Lorsqu'enfin il tourna la poignée de la salle informatique, le tsunami d'une chanson populaire agressa aussitôt ses oreilles.

– Yann ! Tu ne devineras jamais ! s'exclama son collègue à son arrivée.

          Pierre Bertrand, le spécialiste en photométrie et spectroscopie, se tenait sur la table au centre de la pièce, en caleçon et chemise ouverte sans cravate, les cheveux en bataille. Il dansait joyeusement sur un tas de feuilles de calcul et de relevés télescopiques, tandis que « Chained To The Rhythm » de Katy Perry braillait à travers les vieilles enceintes du poste de radio.

Le Passeur de Mondes [En correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant