Le Passeur de Mondes [En correction]

Parsec 9 = Clair-obscur - partie 1 (v2)

          Maunsi dardait vers Sophos ses yeux à facettes remplis d'une dose de rancœur que Mélana jaugea inquiétante. Depuis l'apparition de ce Gardien du Temps, souvent considéré comme impossible à rencontrer, elle sentait une telle tension entre ces deux-là qu'elle devait bien admettre qu'il devait y avoir un passif désagréable entre eux. Difficile d'expliquer son attitude autrement ! Son supérieur, qui se voulait toujours très professionnel, ne montrait jamais en face, son animosité envers toutes les âmes sur l'Axial ; sauf en ce moment. Que s'était-il donc passé ?

          La femme-statue observa pensivement la démarche pleine de grâce de leur guide, rythmée par le balancement régulier de sa longue chevelure blonde, seulement attachée par un fermoir d'or aux entrelacs harmonieux. Cet objet lui évoquait bien un souvenir, mais par trop fugace pour qu'elle parvînt à s'en rappeler. Rajoutez à ces deux premiers mystères, celui de la tenue de Sophos, mélange entre celle d'un Passeur et d'un Gardien, non pas noir comme d'habitude, mais blanc et doré, et vous aviez un étrange triptyque plus énigmatique encore.

– Méfie-toi de lui, chuchota son supérieur dans un sifflement de gorge digne d'un Klux en colère.
– Pourquoi cela ? répliqua-t-elle, dans l'espoir de révéler un début de réponse.

          Elle n'eut pas la chance de mieux comprendre la situation qu'ils pénétrèrent dans une zone presque abandonnée de l'Axial. La lumière blanche diffuse qui éclairait partout ailleurs n'existait plus, ici. Ils venaient d'entrer dans une salle plongée dans le noir absolu, où chaque bruit paraissait comme amplifié. Et, peu après, l'effet sembla s'inverser, comme s'ils passaient d'un couloir intimiste à un grand espace vide inquiétant par tout le mystère que les ténèbres engloutissaient.

– Que faisons-nous à la Crypte aux Âmes Déchues ? grinça Maunsi.

          Sa voix se perdit à travers l'immensité abandonnée autour d'eux, avant de revenir en écho quelques instants plus tard, très étouffé. Malgré l'absence totale de visibilité, il était évident que ce lieu possédât une extrémité, mais assez éloignée pour provoquer une impression de gouffre insondable face à soi. Mélana frissonna de peur et se surprit à attraper un bout de chitine de son supérieur afin de se rassurer. Lorsqu'elle sentit des doigts fins venir récupérer sa main, elle se relâcha quelque peu.

– Il me fallait confirmer une théorie, répliqua le ton neutre de Sophos, non loin.

          Les deux Passeurs comprirent sans qu'il ait à développer le fond de sa pensée : il cherchait Kunlung. La présence ou l'absence de ce dernier dans un coin de l'Axial pourraient expliquer leur actuel problème. D'un commun accord tacites, ils conservèrent tous trois le silence tandis qu'ils s'enfonçaient un peu plus en profondeur. Il ne leur fallut que très peu de temps avant d'apercevoir la première lueur. Le minuscule petit point qui flottait à hauteur de leurs épaules ne diffusait que très peu de lumière, juste assez pour être visible, mais pas assez pour réduire ce noir d'encre qui les enveloppait depuis le début. La luciole demeura immobile jusqu'à l'approche de ses invités. Lorsque Sophos tendit sa main vers elle, les deux autres la virent se poser délicatement, telle une plume qui viendrait choir avec mollesse au sol.

          La seconde d'après, Mélana serrait les doigts effilés de Maunsi afin de lui faire remarquer plusieurs dizaines de lueurs qui apparaissaient et voletaient dans leur direction. Quelques secondes plus tard, ils se retrouvèrent entourés d'une douzaine de lucioles, plus ou moins brillantes et colorées, qui dansaient dans l'air avec langueur, un peu partout autour d'eux. Ce spectacle rare ne dura guère, car le Gardien du Temps relâcha la première d'un mouvement de main. Ce qui donna le signal à toutes les autres pour une disparition progressive dans les ténèbres d'où elles avaient émergé plus tôt.