17. Fuite en avant

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Le monologue de Milan sur son indépendance avait laissé Evan pensif. Il se demandait ce qu'il allait bien répliquer à cela. Il pouvait certes lui rétorquer que ce n'était pas du tout ce à quoi il pensait, qu'il était en train de se tromper sur toute la ligne. Ou alors, lui faire remarquer qu'il le connaissait assez bien pour savoir que l'étudiant ne voulait pas se caser et que ce n'était pas ce qu'Evan essayait de faire.

Et ce ne serait même pas un mensonge. Bien sûr, Evan serait ravi de voir son meilleur ami heureux et posé avec une fille, mais ce n'était en aucun cas une priorité. Tant que le jeune homme était bien dans sa peau, cela lui suffisait. D'ailleurs, il comprenait tout à fait que Milan veuille rester disponible.

Une relation exclusive n'était pas toujours souhaitable dans de telles études, malgré le fait que la plupart des couples de médecins se formaient pendant cette période laisse penser le contraire. Evan en était la preuve vivante. Depuis qu'il était avec Carole, ses notes n'avaient cessé de chuter. Il s'apprêtait à lui répondre ça lorsque leur professeur d'anatomie le devança.

- Messieurs, troisième rangée à droite, je vous dérange peut-être ? Non ? Parce que si c'est le cas, il paraît qu'un très bon salon de thé vient de s'installer, pas loin d'ici, boulevard Saint Michel. Vous y seriez certainement plus tranquille pour parler. Ici, on étudie l'anatomie, pas les ragots. Je sais, ce n'est pas aussi raffolant, mais c'est ce que vous avez choisi d'étudier, Messieurs. Alors, si vous ne choisissez pas de prendre la porte, je vous prierais de vous concentrer de nouveau sur ma voix.

Suite à son intervention passive-agressive, Evan se fit tout petit et ravala difficilement sa salive avant de lancer un regard assassin à son meilleur ami. Il était pourtant certain que cela allait finir par arriver. Il n'aurait jamais dû se lancer dans cette discussion, mais il ne pouvait décidément pas lutter contre sa curiosité. Cela en devenait maladif.

Le jeune homme se pencha sur ses notes et écouta le reste du cours sans broncher. Les quelques rires qui s'étaient élevés dans l'amphithéâtre suite à l'intervention du professeur s'estompèrent rapidement quand ce dernier menaça les perturbateurs d'être banni de son cours, un semestre entier.

A présent concentré, Evan ne fit pas attention à Milan. Le jeune homme était totalement perdu dans ses pensées, comme s'il était parti dans un autre monde. Il jouait avec son stylo, le regard dans le vide, sans vraiment prendre de notes. Ainsi, lorsque le professeur d'anatomie les libéra enfin, Evan ne put pas anticiper la sortie précipitée de son meilleur ami.

Milan avait en effet attrapé son sac sans même prendre la peine de le remettre sur son dos, le tenant seulement par la main. Il avait ensuite enjambé deux par deux les marches afin d'atteindre le plus rapidement possible la sortie. Evan eut beau crier son prénom à plusieurs reprises, Milan avait déjà disparu de la pièce.

Evan resta quelque peu pantois, ne comprenant pas ce qui venait de se passer. Milan était bien la dernière personne qu'il connaissait à réagir ainsi au quart de tour. Il ne voyait pas vraiment ce qu'il avait fait de mal. Ce n'était pas comme s'il lui en voulait réellement pour la remarque du prof, ni pour ses commentaires sur Alice. Le jeune homme soupira avant de, lui aussi, ranger ses affaires et quitter la pièce.

De par son pas de course, Milan bouscula plus d'une personne dans les couloirs, sans réellement s'excuser. Il voulait sortit du bâtiment au plus vite sans se préoccuper du reste. Seulement, une personne tomba en arrière, l'obligeant à s'arrêter. C'était d'ailleurs plus un réflexe qu'un réel élan de gentillesse.

Toutefois, lorsqu'il baissa le regard, il regretta de ne pas avoir continué son chemin, sur le même rythme. Les lèvres rouges carmin qu'il avait à présent en face de lui n'étaient décidément pas celles qu'il aurait voulu voir à cet instant.

Milan passa sa langue sur ses dents, hésitant un moment à repartir sans faire plus que cela attention à elle. Cependant, il savait déjà que son corps allait réagir sans que son cerveau n'ait le moindre contrôle sur la situation. C'était comme si son système nerveux n'était plus connecté à certains de ses membres depuis deux semaines.

Il remarqua qu'Alice était toujours à terre, malgré les secondes déjà écoulées lors de sa réflexion. Elle paraissait légèrement déboussolée par ce qu'il venait de se passer. Par réflexe, Milan lui tendit la main pour l'aider à se relever. Finalement, il n'était peut-être pas le goujat qu'il pensait être. Il mit du temps avant de se rappeler la crise de panique qui avait pris la jeune fille la dernière fois qu'il l'avait touchée.

Il commençait à mieux comprendre pourquoi ses yeux semblaient totalement perdus dans le vide et qu'elle n'avait pas encore saisi sa main. Elle était sûrement en état d'anxiété extrême. Ce n'était sans doute pas une bonne idée de lui rajouter du stress en lui proposant son aide.

Prenant conscience de cet état de fait, il allait rétracter son geste quand elle posa finalement son regard sur sa main. Elle semblait en détailler chacune des lignes dessinées dessus. Toujours à terre, elle finit par relever ses yeux jusqu'à son visage et parut se calmer peu à peu, à chaque nouvelle inspiration qu'elle prenait. Milan comprit qu'il ne fallait donc pas changer la situation présente, au risque de lui faire perdre de nouveau tout repère. Il ne bougea pas son bras, le laissant pendu dans les airs, malgré qu'il commence à trouver le temps long.

Il ne comprenait même pas pourquoi il faisait cela. Parce qu'au fond il savait très bien qu'il allait rester là et lui laisser le temps qu'il lui faudrait pour se relever, même si ça prenait toute l'après-midi. Et il détestait déjà les conclusions qui se formaient dans son esprit afin d'expliquer son comportement. Cela ne lui plaisait vraiment pas du tout.

Toutefois, la tension qui émanait jusque-là des épaules de la jeune fille s'apaisait progressivement et il ne pouvait s'empêcher de s'en sentir soulagé. Il allait falloir qu'il fasse un point avec lui-même quant à ces émotions qu'il n'arrivait pas à contrôler. Ce n'était plus possible.

Milan n'eut cependant pas le loisir d'attendre qu'Alice prenne enfin sa main pour se relever qu'une tornade sembla lui tomber dessus.

- Ne la touche pas.

Le ton était autoritaire, tranchant, et ne laissait pas vraiment de place à la répartie. 


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