74. Explications

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Vous avez failli l'avoir plus tôt, il me manquait deux phrases dans le train ce matin, mais j'étais arrivée en gare et après j'ai plutôt profité de ma famille. Mais vous avez de la chance, je me suis motivée avant d'aller au lit pour vous le finir et vous l'offrir ! 


74. Explications

Alice ne disait toujours rien, sans que ça ne l'étonne. Il allait sûrement être celui qui ferait le premier pas. Il s'accordait juste un moment, avant, pour imprimer ce qu'Emile venait de lui apprendre. Ils n'avaient peut-être que dix minutes mais son frère pouvait bien poireauter cinq de plus devant le portail après le coup qu'il venait de lui faire. Il devait d'ailleurs jubiler sur ce trottoir à se rappeler la mine défaite de Milan quand il avait lâché sa bombe. Il était invité chez les Jacob, dimanche midi, pour déjeuner avec leurs parents. Il n'était pas prêt pour ça.

Il avait accepté de lui faire la cour et de se prendre plusieurs claques émotionnelles à la figure avant de se rendre compte de ses sentiments, de les assumer, de tenter de les lui prouver. Il était prêt à descendre à Marseille pour un autre week-end loin des autres, juste entre eux deux ; à tenir tête à Emile, quitte à finir aux urgences ; à passer une nouvelle soirée films avec lui et Nate, et peut-être même à regarder Dirty Dancing. Il pouvait bien se faire chambrer par ses potes, confronter le sourire narquois d'Aurore quand il était bien obligé de s'avouer qu'elle avait raison, se prendre de nouveaux vents d'Alice et essayer encore et encore. Mais déjeuner avec ses parents...

Il avait soudainement l'impression que tout allait trop vite, qu'il était pris dans un engrenage qu'il ne savait plus arrêter ou, du moins, ralentir. Son mal de crâne s'intensifiait. Le café n'aurait eu que bien trop peu d'effets face à l'ouragan qu'il se prenait en pleine face. Moins ils se parlaient, plus vite la tornade tournait. Elle rasait tout sur son passage, emportant avec elle toutes ses certitudes. Il n'était pas habitué aux vents violents, il ne savait pas confronter une telle tempête. Et alors qu'il pensait vraiment perdre pied, ne plus jamais toucher terre, Alice parla.

— Mes parents aimeraient te rencontrer.

Ses parents l'avaient déjà rencontré. Ils s'étaient vus au concours scientifique d'Alice. Ils s'étaient assis à la même rangée que lui. Emile leur avait parlé de lui et sa mère lui avait avoué que la jeune fille semblait bien l'aimer. La soirée ne s'était pas si bien finie que ça et il ne savait d'ailleurs pas ce qu'ils pensaient de lui et ce qu'Emile leur avait raconté, après leur discussion mouvementée et le vent monumental qu'il s'était pris d'Alice. Il n'aimait pas vraiment se rappeler cette soirée et il n'était absolument pas prêt à voir ses parents de nouveau. Surtout pas chez eux, autour d'un repas. Il préférait encore les croiser par hasard, les saluer et repartir chacun de son côté. Là, on parlait de rester minimum une heure, à parler de tout et de rien, sans doute beaucoup de rien, sans avoir d'issue de secours possible. C'est Emile qui allait bien se marrer.

Il ne s'était jamais vanté de posséder le costume du genre parfait. Il ne l'aurait sans doute jamais. Il ne savait pas faire. Ils avaient encore tellement de repères à prendre, une base à construire avant même de penser à la solidifier. Il lui avait fait un baiser sur le front la veille, il n'était pas encore capable d'assumer devant ses potes, comme il allait faire en face de ses parents. Il savait très bien comment ça allait se passer. On allait lui poser des questions et il ne saurait pas quoi y répondre. Emile aurait son petit sourire au coin des lèvres, bien trop content d'assister à cette torture en direct.

Son silence était éloquent mais il ne savait pas quoi répondre. Il avait l'impression d'être tombé dans une dimension parallèle et la sensation n'était pas aussi agréable qu'il l'aurait pensé. Alice ne le regardait plus et les secondes filaient sans qu'il ne puisse les retenir.

— Je. Est-ce que tu pourrais venir ?

C'était la première fois qu'elle exprimait aussi clairement ce qu'elle souhaitait, même si ça ne résidait qu'en une seule syllabe. Ce « je » voulait tout dire et il aurait fallu être aveugle et sourd pour ne pas comprendre qu'elle, en particulier, avait envie qu'il vienne. Ça aurait dû le réjouir, c'était un pas de plus en avant quand, parfois, il avait l'impression d'en faire deux ou trois en arrière. C'est pourtant ce qui lui fit perdre pied définitivement.

— Qu'est-ce qui se passe ?

Elle le regarda sans comprendre la question. Elle jeta un œil autour d'elle comme si ça allait lui donner un début de réponse mais ils n'étaient toujours que tous les deux. Il était perdu et se retenait de se prendre la tête dans ses mains, de les passer dans ses cheveux pour essayer de retrouver des racines qui le rattacheraient au sol. Toute cette situation n'était pas naturelle. Tout ça était irréel et les mots rassurants d'Evan ne pouvaient rien y faire. Il paniquait. Il ne comprenait pas d'où venait ce changement, même s'il avait bien compris que ça datait de leur week-end à Marseille. Il n'aurait jamais pensé que leur escapade aurait ce genre de conséquences. Peut-être qu'il y aurait réfléchi à deux fois avant de le faire. Pourtant, il n'arrivait pas à regretter ces deux jours loin de la capitale.

— Qu'est-ce qui a changé ?

Elle n'avait toujours pas de réponse pour lui. Il ne devrait pas être surpris. Il avait surtout voulu formuler ses interrogations à voix haute avant de devenir fou. Il voyait bien pourtant qu'à présent elle avait envie de partir de cette salle, de ne plus à avoir à le confronter, retrouver son frère et aller on ne sait où. Parce qu'il ne savait toujours pas pourquoi ils seraient en retard s'il prenait un peu plus son temps. Alice restait un mystère.

L'horloge continuait à tourner et il ne voulait pas qu'ils se quittent sur ça. C'était encore pire que ce foutu baiser sur le front. Comme quoi il enchaînait les maladresses dès qu'il voulait bien faire. Il se passa une main sur le visage, comme si ça suffisait à oublier ses questions restées sans réponse.

— Très bien. Je viendrais alors. Je dois apporter quelque chose ?

Il avait évidemment abandonné bien trop rapidement et ce n'était pas parce qu'Emile attendait dehors. Il n'arrivait pas à aller en contresens. Quand il s'agissait d'Alice, il n'y avait qu'une direction possible. La sienne. Alors, non, il n'avait jamais fait ça, mais si elle voulait qu'il se pointe un dimanche midi en chemise chez ses parents et qu'il soutienne leur interrogatoire le temps qu'il faudrait pour que ça les satisfasse, alors il le ferait.

— Mon père aime bien le vin. Ma mère, le chocolat.

Elle n'avait eu aucune hésitation. Il allait, en plus, devoir faire des emplettes, ce qui n'était pas vraiment prévu au programme. De quoi se prendre encore plus la tête.

Alice commença à ranger ses affaires, comprenant qu'ils en avaient terminé avec cette discussion et qu'elle pouvait sans doute s'échapper. Il la regarda faire, ne s'activant pas de son côté. Il n'avait rien sur le feu, lui. Elle avait déjà son sac sur l'épaule et se dirigeait vers la porte quand il attrapa délicatement son poignet pour la faire revenir vers lui. Si elle était surprise par son audace, elle ne le repoussa pas pour autant, même si comme d'habitude, elle avait du mal à le regarder dans les yeux. Il redressa son menton d'un doigt pour concentrer son attention et plongea ses lèvres sur les siennes, comme il avait voulu le faire toute la soirée de la veille. C'était bon, même si ça ne répondait pas à la question du goût qu'elles auraient, fraîchement trempées dans du houblon. Mais il était certain qu'il le découvrirait bien assez tôt. Elle lui répondit doucement et il mit fin au baiser en lui chuchotant quelques mots à l'oreille.

— La prochaine fois, c'est de ces si jolis lèvres que je veux entendre ce genre de nouvelles, pas de celles de ton frère. Ok ?

Elle hocha la tête avant de disparaître et s'il ne le savait pas encore, il sut à cet instant précis qu'il était perdu. Ou dépendant. Est-ce que ce n'était pas la même chose, au fond ?

Blue BlurredOù les histoires vivent. Découvrez maintenant