8. Léa

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8.

Cela faisait bien deux chansons que Milan était collé à cette rousse. Pratiquement tout son corps se complétait parfaitement à celui de sa partenaire, sans aucune gêne, sans aucune pudeur, l'alcool aidant. Plus petite que lui, la jeune fille avait des lèvres très fines mais qui ne pouvaient s'empêcher de caresser sensuellement les siennes et toutes les parties érogènes que son cou avait. Elle n'avait d'ailleurs aucun mal à les trouver et le torturait délicieusement. Elle laissait parfois ses dents caresser légèrement sa peau. Il avait alors envie de prendre à pleine main le chignon qu'elle s'était fait sur le crâne pour la faire aller légèrement en arrière et mordre son cou. Il était pris de pulsions et il avait besoin d'assouvir ce plaisir qui grognait au fond de lui.

Ils allaient enchaîner la troisième chanson, au beau milieu de cette piste de danse improvisée. Milan s'était promis qu'à la fin de celle-ci, il l'emmènerait un étage plus haut. Cette semaine, les fêtards n'étaient pas serrés dans un studio. Non, ce samedi, la fête battait son plein dans un véritable duplex de deux étages dans lequel vivait une dizaine d'étudiants en colocation. L'endroit était parfait, les chambres conséquentes. Il n'aurait aucun mal à se trouver un endroit pour se libérer de toute cette pression qui s'était accumulée sur ses épaules ces derniers jours.

Les premières notes de la chanson se firent entendre. L'euphorie emportait le jeune étudiant en médecine. Il voulait s'approcher encore plus de la jeune fille alors que ce n'était déjà plus possible. On ne pouvait pas être plus collé l'un à l'autre. A part, bien sûr, en conclusion de l'acte qu'il avait en tête depuis qu'il avait posé sa main sur la hanche de la jeune rousse.

Sa partenaire pencha de nouveau la tête vers lui, laissant présager de nouvelles caresses et baisers, ici et là. Il allait perdre l'esprit si elle continuait ainsi et la chanson ne finirait pas avant qu'elle ne soit allongée sous lui. Ses lèvres s'arrêtèrent au niveau de son oreille et alors que Milan s'attendait à ce qu'elles lui mordent le lobe, elles se murent.

- I'm sorry if I seem uninterested. Oh, I'm not listening. Oh, I'm indifferent. Truly I aint got no business here but since my friends are here I just came to kick it.

[Je suis désolée si je ne semble pas intéressée. Oh, je n'écoute pas. Oh, je suis indifférente. Réellement, je n'ai rien à faire ici mais puisque mes amis sont là, je suis venue.]

Les paroles prenaient un tout autre sens lorsqu'elles étaient murmurées avec une telle sensualité dans la voix. Chaque mot semblait posé avec justesse, comme on se défeuille, un vêtement après l'autre, comme une caresse sur l'épiderme. En temps normal, cela aurait doucement fait monter en pression le jeune homme. Son rythme cardiaque aurait suivi le tempo imposé et il aurait certainement rageusement attrapé les lèvres de la jeune rousse.

Mais, pour une fois, cela eut l'effet totalement inverse. Comme s'il venait de se prendre une décharge trop importante pour son muscle vital, il était totalement électrisé, sans doute électrocuté. Il s'était immobilisé. Chaque mot appuyé était une nouvelle châtaigne qui venait picoter un endroit différent de son corps tout en le maintenant dans cet état léthargique.

Il avait fallu que de toutes les chansons disponibles dans le répertoire du DJ présent, ce soit celle-ci qui décide du reste de sa soirée. Et il revoyait déjà le recul réflexe, la panique qui s'était invitée dans ses prunelles, et ces mots encore et encore répétés, inlassablement, pendant deux minutes entières, avant que cela ne s'arrête finalement. Avant que ses lèvres rouges ne se rejoignent, de nouveau, pour la faire taire, pour qu'elle se calme, pour qu'elle retrouve ses esprits, ainsi qu'une certaine contenance.

Milan savait qu'il était trop tard. S'il voulait se défaire totalement de cette frustration, cela ne pourrait décidément pas se faire avec cette rousse qui, sans le savoir, avait prononcé des mots en trop. Et Here d'Alessia Cara continuait de s'élever dans la pièce alors qu'il faisait un pas en arrière.

Il devinait déjà la surprise qui ne tarderait pas à se lire dans les yeux de sa partenaire. Elle se demanderait ce qu'elle avait fait de mal pour qu'il se détache ainsi d'elle. Elle réfléchirait sans doute pendant de longues minutes, se remémorant ses actes, voyant où cela avait foiré.

Ou alors, elle s'en ficherait et, comme lui, passerait à autre chose sans qu'une seule question ne vienne envahir son esprit. Car c'est ce que fit Milan. Il attrapa un verre d'un alcool inconnu, posé sur la table derrière lui, le vidant d'un seul trait avant de parcourir la pièce à grands pas. Il avait besoin de prendre l'air. Juste quelques secondes, avant de reprendre le rythme, de se déhancher de nouveau, de perdre l'esprit et de transpirer, encore et encore. La sueur se mêlant au désir, le désir se concluant en un plaisir infini, et cet infini se répercutant dans toutes les cellules de son être, le faisant indéniablement vivre. Il voulait se sentir éternel. Alors, ce soir, il serait Dieu. Et ce n'était pas le ton froid, pris de tremblements, d'Alice, qui ne cessait de résonner dans sa tête, qui allait changer quelque chose.

Ce n'était pas parce qu'il était à présent assis à même le sol, dans la cuisine, la tête dans ses mains, qu'il était foutu. Non, ce n'était que l'alcool qui lui était monté bien trop vite au cerveau. Ce n'était que l'alcool qui lui donnait ce foutu sentiment de nausées. Ce n'était que l'alcool qui lui donnait envie de se taper le crâne contre le carrelage. Ce n'était que l'alcool qui lui criait de partir d'ici. Et, finalement, ce n'était que l'alcool qui avait remis son cœur en état de marche, le faisant cavaler un peu trop fort.

- Léa.

Il releva la tête vers cette voix fluette, posée. Il n'y avait aucune inquiétude dans ses yeux, aucune compassion. Cette brunette, assise en tailleur à côté de lui, semblait s'en ficher totalement qu'il soit sur le point de rendre ses tripes.

- Milan, réussit-il à articuler.

- Je sais, Milan, je sais.

Et déjà ses lèvres se posaient sur les siennes, sans qu'il ne puisse y faire grand-chose. Mais il n'y avait aucune agressivité dans cet acte, seulement du désir. Il n'y avait plus de questions, plus de problèmes, donc plus de réponses. Il n'y avait que le vide devant lui. Elle avait réussi à le déconnecter. Quelqu'un avait enfin appuyé sur ce putain de bouton off et plus rien à présent ne viendrait troubler sa soirée. Et déjà il susurrait les trois lettres de son prénom au creux de son cou. 

Blue BlurredOù les histoires vivent. Découvrez maintenant