Blue Blurred

3. Single Ladies

3.

Après le départ précipité d'Alice, Milan mit bien une dizaine de minutes avant de se relever. En s'envolant, sa fierté l'avait cloué sur place. Mais ce n'était certainement pas une fille qui allait l'abattre, et il savait déjà qu'elle ne serait plus qu'un vague souvenir quand il se réveillerait, le lendemain, la tête à l'envers de la cuite qu'il préparait de se prendre. Et c'était sans doute le meilleur moment pour mettre à bien ses projets.

Ainsi, il parcourut les quelques mètres qui le séparaient du bar. Il prit directement la bouteille de tequila, posée juste derrière le comptoir, pour se servir un shot et le vida d'une traite. Il n'avait plus qu'à répéter l'expérience par deux fois. Pas plus, pas en si peu de temps, il ne tenait pas non plus à vomir dans les minutes qui allaient suivre. Il n'était plus un débutant en ce qui concernait l'alcool. Il savait se défoncer dans les règles de l'art.

Quand il eut fini son troisième shot, il se retourna de nouveau vers le centre de la pièce. La chasse reprenait. Tant pis pour Evan, Milan avait déjà fait bien plus que ce qu'il pensait être capable de faire. Cependant, après avoir parcouru la salle, il ne retient rien de réellement intéressant. La blonde de tout à l'heure avait disparu. Il avait clairement laissé passer sa chance. Il soupira et décida finalement qu'un quatrième shot ne lui ferait pas plus de mal. Sa carrure lui permettait d'ingérer une certaine quantité sans pour autant en ressentir les effets dévastateurs.

Milan était grand. Il n'atteignait pas les deux mètres mais il dépassait une bonne partie des gars de sa promotion. Et malgré des études qui se devaient prenantes, le jeune homme avait continué à consacrer une bonne partie de son temps au sport. Et pas seulement à celui de chambre. Il faisait partie de l'équipe de handball de l'université et courrait tous les matins. Il avait toujours eu besoin de se dépenser pour se sentir vivant et bien dans ses baskets. C'était quasi une addiction en réalité. Rien ne lui faisait plus de bien qu'un jogging dans les rues de la capitale. A part le sexe, peut-être.

La musculature du jeune homme s'était donc développée avec les années, même s'il avait veillé à ce qu'elle ne devienne pas trop imposante. Il n'avait jamais compris le délire des bodybuilders et ne se voyait pas ressembler à un monstre vivant, comme il aimait les appeler. Il avait les veines des bras et du cou qui ressortaient légèrement et plusieurs filles lui avaient avoué qu'elles trouvaient cela terriblement sexy. Mais ses deux atouts résidaient surtout dans son regard sombre et ses abdominaux finement sculptés qui se laissaient agréablement caressés par les mains habiles de ses conquêtes.

Milan était beau, et il savait en jouer. Il n'avait pas le teint halé, ni les yeux clairs, mais il avait le sourire charmeur et l'assurance qu'il manquait à d'autres. Il n'avait aucun mal à mettre une fille différente dans son lit chaque samedi soir, et c'était bien là sa philosophie de vie. Tant qu'il pouvait en profiter, il n'allait pas laisser ces occasions lui passer sous le nez.

Alors que les premières notes de We Will Rock You des Queen retentissaient dans l'appartement – sans qu'il ne comprenne réellement comment ils avaient pu effectuer un tel changement de registres – Milan se décida à se mêler à la foule. L'alcool commençait à lui monter à la tête et il avait besoin de sueurs et d'euphorie. Il voulait se déchaîner. Et surtout, il rêvait de courbes à n'en plus finir sur lesquelles ses mains expertes se baladeraient. Il avait besoin d'une échappatoire, et la fête en était un.

Mal lui en pris, à peine se retrouva-t-il au centre de la pièce qu'il la remarqua, dos à lui, un regard rivé sur un endroit qui semblait déserté par la plupart des fêtards. Alice se tenait, là, immobile, comme si le monde autour d'elle n'existait pas. Après être resté bloqué sur le dos de la jeune fille quelques minutes, Milan remarqua finalement qu'elle était loin d'être la seule à regarder dans cette direction.

Curieux, il se rapprocha, voyant ainsi qu'un groupe de filles était en train de danser et que les étudiants s'étaient rassemblés autour d'elles pour les observer. C'était normal, elles semblaient douées. Il n'y avait nul doute qu'il s'agissait d'une démonstration. En bougeant, Milan s'était, sans s'en rendre réellement compte, arrêté juste derrière Alice, un peu décalé sur la gauche cependant, si bien qu'il pouvait parfaitement voir son profil. C'est d'ailleurs en détournant son regard de la performance improvisée qu'il tomba, de nouveau, sur ses lèvres désirées. La jeune fille, elle, paraissait focalisée entièrement sur les pas des danseurs comme si rien d'autre ne comptait. Milan se pencha afin de pouvoir lui chuchoter quelques mots au creux de l'oreille.

- Jalouse ? C'est vrai qu'elles sont douées. Je pourrais t'apprendre, un jour, si tu veux.

Bouger, il savait faire. Pour ce qui était de la danse, il ne connaissait que les déhanchements endiablés échangés dans l'intimité, mais c'était sans doute déjà plus que la jeune fille. Elle s'était tellement raidie à son approche – alors qu'il ne faisait que plaisanter, ayant bien pris note de son premier refus – qu'il l'imaginait mal lui effectuer une danse du ventre. Si son corps avait réagi à la tentative de communication du jeune homme, Alice ne lui répondit cependant rien. Encore une fois, elle l'ignorait et, encore une fois, cela le faisait intérieurement ragé. Il n'eut toutefois pas l'occasion de reprendre la parole. Une des danseuses parcourut la foule pour prendre la main d'Alice et la tirer vers le groupe alors que Single Ladies sortait à présent des enceintes.

Il ne savait pas ce qu'il venait de se passer. Ni ce qu'il était actuellement en train de regarder. Mais son esprit lui soufflait que le mystère s'épaississait. Car s'il avait déjà noté que malgré un isolement volontaire, Alice n'était pas quelqu'un d'effacé, il ne l'aurait pas non plus imaginé se tenir au milieu d'un groupe, à danser. Et s'il y avait bien une seule chose que Milan savait, c'est que la jeune fille n'avait en aucun cas besoin qu'il lui apprenne à bouger. Alice était la grâce incarnée.

- Et Alice gagne encore.

Il était tellement perdu dans les nouveaux mouvements de la jeune fille qu'il n'avait pas senti que quelqu'un s'était posté à côté de lui. Il tourna la tête pour tomber nez à nez avec la jeune blonde qui l'avait précédemment attiré.

- Quoi ?

- Je t'ai vu me regarder tout à l'heure. J'ai bien cru que tu allais venir me voir à un moment mais finalement tu n'as d'yeux que pour elle.

Il écarquilla les yeux, comment pouvait-elle en arriver à cette conclusion ? Il l'avait même cherché après qu'Alice soit partie. Et d'ailleurs, elle était tout aussi désirable de près, il pourrait définitivement son quatre heures. Ses lèvres n'étaient pas aussi rouges que celles d'Alice mais sa poitrine compenserait.

- C'est faux.

- Ah vraiment ? Alors pourquoi depuis le début de cette conversation, tu n'as cessé de l'observer ?