56. C'est joli

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Quand Milan se réveilla, Alice ne se trouvait bien évidemment plus dans le lit. Et s'il n'avait pas senti sa présence, non loin de lui, pendant la nuit, il aurait pensé qu'elle ne s'y était pas trouvé du tout. Il se releva, en position assise et balaya la chambre. Elle n'était pas très grande, ce ne fut pas difficile de trouver la jeune fille assise devant le bureau, en train d'écrire quelque chose.

Il n'avait pas besoin de s'approcher pour savoir qu'il s'agissait d'équations. A part la danse, qui était ce qu'elle aimait le plus au monde, Alice passait le plus clair de son temps à vivre dans les chiffres, avec des formules que Milan n'était pas en mesure de comprendre. De toute façon, cela faisait bien longtemps qu'il ne cherchait plus à comprendre, depuis même sans doute le début. Tout ce qui lui importait, et c'était totalement égoïste il en avait bien conscience, c'était qu'Alice lui accorde un minimum d'attention. Et après ce qu'il s'était passé la veille, il pouvait s'avouer chanceux.

- Tu veux faire quelque chose de particulier aujourd'hui ?

Il la vit tressauter, elle avait sûrement sursauté par surprise, ne s'attendant pas à l'entendre parler. Il n'avait pas fait de bruit et elle ne devait pas savoir qu'il était réveillé. Il attendit qu'elle reprenne sa respiration, qu'elle retrouve ses repères. Puis elle se retourna mais ne le regarda pas, lui préférant la fenêtre, perplexe. Son cerveau fonctionnait à plein régime, elle était certainement en train de chercher une réponse à sa question.

Pour l'instant, c'est lui qui avait mené la barque et elle s'était sans doute attendue à ce que ça continue ainsi jusqu'à ce qu'ils rentrent sur Paris. Il ne voulait pas la forcer mais il souhaitait qu'elle s'implique elle aussi dans ce week-end. Il voulait qu'elle ait une part décisive dans ce moment rien qu'à eux deux. Il faisait beau dehors, ils pouvaient donc se promener un peu partout. Ce n'était pas une question piège. A la voir ainsi, nerveuse, il avait presque envie de le lui préciser mais elle prit la parole avant qu'il ne le fasse.

- Il paraît que les calanques, c'est joli.

Entendre « c'est joli » dans la bouche d'Alice était surréel mais appréciable. Il hocha la tête, c'était également ce qu'il avait entendu dire. Et cela aurait été dommage de venir à Marseille sans y faire un tour.

Milan ne perdit pas de temps et prit son portable pour regarder quelles calanques étaient préférables. Il avait plusieurs critères : elles ne devaient pas se trouver trop loin, ne pas être trop fréquentées et être un minimum accessibles. Une petite voix à l'arrière de son crâne lui soufflait que ce n'était sans doute pas une bonne idée. Après tout, effectuer une telle randonnée alors qu'Alice n'avait pas beaucoup dormi ce n'était pas jouer la sécurité. Pourtant il savait qu'il pouvait lui faire confiance. Elle gérait. Elle avait toujours géré. Si elle voulait aller aux Calanques, il était certain qu'elle savait ce qu'elle faisait.

Lutter contre cette petite voix c'était aussi refuser de tomber dans le rôle de surprotecteur qu'elle détestait tant. Ce n'était pas simple. Il comprenait aujourd'hui que tous ses amis, sa famille le soient devenus avec les années. Il sentait, parfois, que lui aussi ça le titillait. C'était sans doute parce qu'il tenait vraiment à elle et qu'elle l'inquiétait. Alors, non, ce n'était pas simple.

Mais justement, il tenait à elle, comme à personne avant. Alors, il se rappelait qu'Alice était aussi un être humain, adulte de surcroît, avec une conscience et des envies. Et une véritable envie d'indépendance. Et, surtout, qu'elle n'aimait pas ça. Il n'était pas son père, ni son frère. Il voulait être son amant et pour cela il devait rabaisser cette partie de sa personnalité et lui faire confiance. C'était ce dont elle avait besoin, ce qu'il devait lui prouver. Et il pouvait bien faire ça.

- Cassis, ça te va ?

Elle hocha la tête dans sa direction mais fronça les sourcils en voyant sa nervosité. En réalité, il avait peur de lui poser la prochaine question, ne sachant pas très bien comment elle allait réagir.

- On doit y aller en bus. Ça ira ?

Il ne voulait pas être surprotecteur, et il ne le serait pas. Mais elle ne pouvait pas l'empêcher d'être un minimum protecteur. Après tout, même s'ils n'étaient pas vraiment ensemble, c'était ce qu'un copain faisait. Elle haussa un sourcil avant de se radoucir.

- Je ne suis pas en sucre.

Il avait bien envie de sortir une connerie du genre « pourtant, tu serais délicieuse » mais il s'abstint. Il lui demanda si elle voulait aller prendre sa douche pendant qu'il recherchait la ligne de bus et l'arrêt le plus proche de l'hôtel et c'est ce qu'elle fit. Quand elle sortit, habillée, il avait déjà toutes les informations et s'empressa d'aller faire sa toilette pour partir le plus tôt possible et arriver aux Calanques avant qu'il ne fasse trop chaud.

Ils passèrent devant une boulangerie sur leur chemin pour rejoindre l'arrêt de bus et ils décidèrent d'y acheter leur petit-déjeuner et des sandwichs pour le midi. Ainsi, ils n'auraient pas à se préoccuper de devoir rentrer à telle ou telle heure, ils pourraient tout simplement pique-niquer là-bas.

Ils n'eurent à attendre qu'une dizaine de minutes avant que leur bus ne fasse son apparition. Ils n'étaient pas les seuls à vouloir se rendre à Cassis apparemment. Il tendit la monnaie au chauffeur pour lui acheter leurs billets aller-retour alors qu'Alice s'éloignait de lui pour trouver une place. Il ne cessait de se répéter qu'il n'allait rien lui arriver, qu'elle avait survécu jusqu'à maintenant, et bien avant qu'elle ne le rencontre. Elle savait ce qu'elle faisait. Il se dépêcha cependant de récupérer les tickets et de remercier le chauffeur pour la rejoindre. Elle avait choisi des places au milieu du véhicule et elle s'était placée à côté de la fenêtre. Il s'assit à côté d'elle et elle lui tendit son jus d'orange et le paquet des viennoiseries.

Il prit un mini croissant et un mini pain au chocolat avant de lui redonner le sac. Elle n'avait pas beaucoup dormi, il allait falloir prendre des forces. Il n'était pas non plus totalement inconscient. Ils mangèrent malgré les virages serrés que le bus prenait pour rejoindre Cassis. Alice regardait le paysage et Milan la regardait, elle. Rien de nouveau sous le soleil. 

Blue BlurredOù les histoires vivent. Découvrez maintenant