63. Boomerang vengeur

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J'ai cru comprendre que vous aviez trouvé le temps long alors je me suis dit qu'un deuxième chapitre dans la foulée devrait vous faire plaisir.

63. Boomerang vengeur

— Pas trop fatiguée ?

Il n'était clairement pas en état de tenir une discussion sur la physique quantique. Déjà qu'il avait du mal à le faire alors qu'il était en forme, c'était pire aujourd'hui après une nuit trop courte et sans avoir révisé le sujet avant. Il dévia donc la discussion sur un sujet banal pour ne pas avoir à se triturer les méninges. Il devait agir avec elle comme il l'aurait fait avec n'importe qui. C'est ce qu'il ne cessait de se répéter depuis qu'elle lui avait tendu le livre, ouvert. Il le lui avait pris des mains, l'avait refermé avant d'enchaîner. Elle fuyait son regard, se concentrant sur les autres livres qu'elle tenait dans ses bras. Il aurait très bien pu prendre son menton pour qu'elle relève les yeux vers lui mais il ne voulait pas la forcer. Elle n'était pas à l'aise, soudain. Comme si après ce week-end, après l'avancée de leur relation et dans ce couloir rempli d'étudiants, quelque chose avait changé. Il voulait juste qu'elle comprenne qu'il se fichait des normes sociales et que c'était comme quand ils se voyaient au stade près de chez elle pour réviser ses fiches pour le concours.

Elle se contenta de nier et il n'insista pas. Il n'était pas là pour lui faire la leçon. Il était le premier à ne pas avoir dormi suffisamment cette nuit et il ne voulait pas passer son temps à s'inquiéter pour elle.

— Pas de coup de soleil ?

Dans la précipitation de la préparation du week-end, il n'avait pas pensé à prendre de la crème solaire. S'il avait une peau qui ne marquait pas, plutôt mate, celle d'Alice était blanche et devait être plus sensible aux rayons UV. Comme pour le lui confirmer, elle étira légèrement le col de son tee-shirt pour lui montrer que son épaule gauche avait en effet rougi. Milan se pencha vers elle et suivit la marque du doigt, l'effleurant à peine. Le contact ne dura pas longtemps, il se recula en sentant Alice se contracter à son toucher.

— Je dois rejoindre Evan, sinon il va menacer de me torturer de mille et une façons, mais on pourrait se voir cette semaine ? Un soir ? Ce soir ?

Il ne voulait pas paraître trop pressé. Il se donnait l'impression d'être puceau alors que c'était loin d'être le cas. Mais il ne souhaitait pas non plus qu'elle pense qu'il avait mal pris le fait qu'elle ne veuille pas qu'il la touche.

— Je... Ce soir, ce n'est pas possible et...

Elle cherchait ses mots et il se demanda un instant si Emile ne lui avait pas dit quelque chose pour qu'elle soit soudainement si distante. Mais en même temps son regard s'était éclairci quand elle l'avait vu et elle avait engagé en premier la discussion. C'étaient des signes qui ne trompent pas. Il pensa à ça quand il ravala sa fierté et qu'il décida de lui laisser un peu de temps. Il l'avait emmené tout un week-end au soleil, sans la prévenir auparavant et ça faisait beaucoup de changement, il en avait conscience. Il avait bousculé ses repères et il devait lui laisser le temps de se sentir à nouveau à l'aise avec lui. Ils devaient juste s'adapter, l'un à l'autre.

— Ok, on regarde chacun notre planning de notre côté et on voit quand on peut se voir en-dehors de l'université ? File, tu vas être en retard en cours.

Il lui rendit son livre qu'elle prit avec une certaine hésitation. Elle le regarda un instant, comme si elle allait lui dire quelque chose, et il ne sut déchiffrer l'expression qui passa sur son visage. C'était trop vif, trop rapide, pour qu'il comprenne ce que ça voulait dire. Elle finit par hocher la tête, placer ses livres contre sa poitrine et continuer son chemin alors qu'il resta planté là encore cinq minutes. Il devait avoir l'air stupide, arrêté en plein milieu du couloir, seul.

Les mots d'Aurore lui revinrent à l'esprit et lui donnèrent la force nécessaire pour rejoindre le restaurant universitaire sans passer en boucle ce qui venait de se passer : « comme elle ne te mange pas dans la main comme la plupart des autres filles juste parce que tu lui adresses la parole, tu veux te retirer ? Alors oui c'est plus difficile que ton aventure d'un soir habituel, mais ce n'est pas la même finalité non plus. Tu as la trouille de t'attacher à quelqu'un, tu as la trouille de mal faire les choses. Tu dois oublier la provocation, les piques et les hésitations. Faut que tu acceptes de l'aimer, Milan, sinon, en effet, tu n'iras jamais bien loin. »

Ce n'était pas ses conquêtes habituelles. Il n'avait pas juste à jouer un peu de son charme, enclencher son jeu de séduction, la faire rire, et s'approcher d'elle pour qu'elle sente la tension qu'il y avait entre eux. Non, c'était un travail plus fastidieux, qui se voulait pour du long-terme. Pas juste une nuit dans un lit.

— On va te retrouver en train d'écrire une thèse bientôt.

Il ne répondit pas à la pique de son meilleur ami alors qu'il s'asseyait en face de lui, à la place qu'il lui avait gardée, avec son plateau dans les mains. Il avait passé la queue à réfléchir à sa situation actuelle et s'était retrouvé devant les plats plus rapidement qu'il ne l'aurait pensé. Si bien qu'il avait pris ce qu'il lui passait par la main et que ce n'était pas très cohérent.

— Ou alors on va vous élire roi et reine de l'université, c'est tout aussi incongru et improbable.

— Tu as fini ?

— Oh, ça va. Vous êtes mignons ! J'ai bien le droit à un quota minimum de moqueries après toutes ces années de célibataire endurci.

C'était sans doute un boomerang mérité qui lui revenait en pleine figure. Il avait cherché, il venait de trouver. Il savait que ça n'allait pas s'arrêter avant un bon nombre de semaines, il lui donnait une occasion en or de se venger. Evan sortit son semainier, un crayon et marqua d'une croix la date du jour. Il ne put s'empêcher de rajouter un « enfin » en majuscules avec trois points d'exclamation à la suite, juste en-dessous de la croix pour narguer son meilleur ami. Milan lui sourit d'une grimace qui signifiait qu'il avait compris la leçon avant de s'intégrer à la discussion animée autour de la table. Il n'était pas passionné par les ragots que les étudiants étaient en train de s'échanger mais ça lui permettait de ne pas faire une fixette sur les lèvres rouges d'Alice, toujours bien ancrées dans sa mémoire. C'était pire qu'avant, maintenant qu'il savait à quel point elles étaient douces.  

Blue BlurredOù les histoires vivent. Découvrez maintenant