2. Babysitter

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2. 

Cela faisait exactement soixante-trois secondes qu'Alice avait levé les yeux sur lui, sans dire un mot cependant. Milan avait mentalement enclenché un compte à rebours d'une minute trente, c'était largement suffisant pour lui laisser le temps de répondre. Il avait, après tout, appris à faire de son assurance naturelle son principal atout séduction. Cependant, douze secondes supplémentaires suffirent à l'observation de la jeune fille avant qu'elle ne détourne son regard de lui et retourne à sa bouteille d'eau.

Milan eut l'impression de se prendre un coup à l'estomac. Des refus, il en avait essuyé. Très peu, certes, mais c'était arrivé. Il n'était pas non plus un Dieu vivant, bien que certaines conquêtes l'aient, parfois, considéré comme tel. Certaines, toutefois, se faisaient un malin plaisir de lui résister. Elles devaient penser, qu'ainsi, elles le tenaient. Le célèbre jeu du chat et de la souris. Je te suis, tu me fuis. Je te fuis, tu me suis. Mais c'était mal connaître le jeune homme. Milan était le genre à se lasser très vite et à ne surtout pas récidiver. Si la fille lui disait non, il ne mettait pas longtemps avant de l'oublier et de passer à autre chose. Un refus ne l'avait jamais intrigué. Il n'avait pas le temps pour se pencher de plus près sur la psychologie féminine. Lui, il faisait des études de médecine. Et les filles, il ne les voulait pas sur son divan, mais bien dans son lit. Alors, quand ce n'était pas possible, il passait tout simplement son tour.

Cependant, personne ne l'avait jamais ignoré comme cette Alice venait de le faire. Cela avait semblé si naturel. Elle ne s'était pas forcée à le traiter avec indifférence, elle n'avait réellement aucun intérêt pour lui. Elle l'avait regardé un court instant, comme si elle pouvait le lire au-delà de la couverture qu'il présentait. Une fois qu'elle y avait vu ce qu'elle souhaitait, elle était tout simplement revenue à son centre d'intérêt initial. Et il s'agissait de boire de l'eau. Boire. De. L'eau. Il était en compétition avec une bouteille d'eau. Non, en réalité, il ne pouvait même pas prétendre être dans la course, elle l'avait disqualifié d'un revers de main.

Il se sentait à présent idiot de se tenir, debout devant elle. Pourtant, il se voyait mal s'asseoir à côté d'elle pour espérer qu'un son ne sorte de ses – incroyables – lèvres. Il tourna alors la tête pour prétendre observer la salle. Faire semblant d'être occupé, il savait très bien le faire. Au loin, il vit Evan qui leva son pouce en l'air avant de le descendre au niveau de son torse afin de taper légèrement sa poitrine de deux coups. Son meilleur ami le remerciait. Si seulement il savait. Il venait de se prendre le râteau le plus mémorable de sa courte existence. En temps normal, sa fierté l'aurait déjà poussé vers une autre pièce. Mais il avait promis. Et, envers Evan, il n'avait qu'une seule parole. Il allait devoir lui rendre la pareille, ce con. Avec des intérêts gigantesques.

Il essaya de paraître le plus naturel possible quand il prit place à côté d'elle, les jambes légèrement écartées et les avant-bras déjà posées sur ses cuisses, regardant devant lui. Comme si tout cela n'avait pas grand intérêt. Et, dans un certain sens, c'était la vérité. Il devait juste passer le temps.

- Tu es nouvelle ? Je ne t'ai jamais vu par ici.

Les secondes étaient à présent comptées rageusement dans son esprit car il se rendait bien compte qu'elles s'écouleraient sans une réponse de sa part au bout. Il détestait faire la conversation, surtout pour ne rien dire, et encore plus s'il n'obtenait aucune réaction.

Il pencha la tête sur le côté pour l'observer. La bouteille était à présent vide, pourtant le goulot était toujours entre les lèvres d'Alice, ou plus précisément entre ses dents. Elle mordillait légèrement le plastique et Milan ne pouvait s'empêcher de penser à tout ce qu'elle pourrait faire dans d'autres circonstances, l'alcool n'aidant pas. Il commença alors à détailler plus méticuleusement la jeune fille. Après tout, elle ne semblait pas prêter attention à lui, comme s'il était invisible, alors il n'allait pas se gêner.

Même si la première impression qu'on pouvait avoir d'elle le laissait penser, Alice était loin d'être quelqu'un d'effacé. Ses traits étaient trop marqués pour être oubliés, et son regard trop franc pour la mettre en retrait. Elle s'isolait, apparemment, volontairement, sans que Milan n'en sache la raison. De sa chaise, elle balayait son regard, telle une souveraine, sur la pièce. Pourtant, elle semblait ailleurs, comme si le petit peuple ne méritait pas son attention plus d'une nanoseconde.

Ses yeux étaient marrons. D'une nuance qui était difficile à Milan de définir mais qui se rapprochait étrangement du café qu'il buvait chaque matin. Et la couleur était nettement renforcée par sa chevelure brune qui lui tombait en légères ondulations sur les épaules. Sa peau était blanche, tellement qu'elle aurait pu en devenir transparente. Cependant, rien en elle ne démontrait un signe de faiblesse, un quelconque symptôme de maladie. Il ne pouvait nier le fait qu'elle était jolie, sacrément jolie même. Et ses lèvres naturellement rouges le torturaient, si bien qu'il les fuyait.

Il se racla la gorge pour reprendre contenance et releva son buste pour se passer une main dans les cheveux. Il avait besoin d'air. Ou d'un rafraîchissement. Mais la bouteille d'eau était vide.

- Tu sais qu'elle ne t'a rien fait ? La bouteille, je veux dire. Elle ne mérite sans doute pas cet acharnement. Je peux aller t'en chercher une autre, si tu veux. Le bar n'est qu'à quelques mètres, un aller-retour ne me prendra pas longtemps. Tu n'auras pas le temps de t'ennuyer sans moi.

A d'autres ! Elle ne semblait même pas avoir conscience qu'il se trouvait à ses côtés, comment pourrait-il lui manquer ? Il s'apprêtait à se lever pour mettre en pratique ses paroles lorsqu'elle déplia ses genoux et le devança. Cela ne prit qu'une petite minute pour qu'elle se mette debout mais cela suffit à faire arrêter tout mouvement au jeune homme. Il avait presque cru qu'il avait une statue comme partenaire. Son sweat trop large retombait sur son postérieur, ne laissant pas le loisir au jeune homme de laisser son regard divaguer sur cette partie de son anatomie. Elle tira dessus sans aucune délicatesse pour le remettre en place et épousseta son slim, comme si restée assise l'avait rendu sale. Elle finit par relever la tête, posant de nouveau son regard sur Milan. Elle sembla réfléchir un instant, avant de prendre la parole, d'une voix froide et tranchée qui était loin de laisser indifférent le jeune homme.

- Carole est une grande fille, elle fait ce qu'elle veut. Tu diras à Evan que je n'ai pas besoin de baby-sitter.

Et elle le planta là, se faufilant avec aisance parmi la foule, laissant un Milan dépourvu de toute répartie et, sans doute également, de toute fierté. Et sa voix résonnait, encore et encore, tel un écho qui le perdait.

Blue BlurredOù les histoires vivent. Découvrez maintenant