Chapitre 2

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Je me réveille en sursaut, mes poumons demandent de l'air, j'en inhale jusqu'à les gonfler totalement et expire ; je m'essouffle, alors je me force à calmer ma respiration pour reprendre un rythme cardiaque normal. J'ouvre mes yeux, difficilement. J'ai l'impression de me réveiller après un long sommeil. Le vent balaye mon visage transportant avec lui les bruits des insectes. Bordel, où est-ce que je suis ?

Je m'assieds presque d'un bond, comme si ma colonne vertébrale était montée sur un ressort. Un rapide coup d'œil circulaire me renvoie à de la végétation, il fait presque nuit, le soleil est en train de se coucher. Je fais un état rapide de mes facultés vitales : j'ai mal à la tête, au dos, je suis très fatigué et le plus important, je ne sais pas où je suis. J'ai beau me creuser la tête, impossible de me rappeler ce qu'il s'est passé.

Je sens une pression au niveau de mon poignet droit et lorsque mon regard se rive dessus, j'y trouve une menotte. La deuxième est attachée à une fille, assise à côté de moi. Cette histoire est de plus en plus lunaire. Je dois être défoncé. Un sacré trip, du genre à vous envoyer dans l'espace. Je tourne la tête, encore, pour être sûr que c'est réel, mais elle est encore là. Waouh. Comment j'ai pu ne pas me rendre compte que je n'étais pas seul ? Ce n'est pas comme si elle n'était pas à deux centimètres de moi et que nos mains n'étaient pas liées par ces fichues menottes. Je finis par me concentrer son visage, elle est en train de me scruter d'un drôle d'air. Ses yeux sont ronds comme des soucoupes, ses sourcils sont froncés. Elle n'a pas l'air de comprendre plus que moi ce qu'on fait là. Mon attention se reporte vite sur ma main emprisonnée avec la sienne ; je secoue comme un malade pour tenter de détacher ces menottes, mais je suis conscient que tout ce que je réussis là, c'est à nous faire mal. La fille ne dit rien tandis que je malmène son poignet, elle fronce toujours les sourcils.

— Qui es-tu ? me demande-t-elle enfin d'une voix enrouée, brisant le silence.

Qui je suis ? La vérité, c'est que je n'en sais rien. Je cherche un nom à lui donner, un statut que je pourrais avoir ou une quelconque information sur moi, mais je ne sais pas qui je suis. J'ai perdu la mémoire, je me demande si elle vit la même chose que moi, si elle sait qui elle est, si elle connait son prénom. Je me concentre un peu plus, je ne peux pas avoir oublié mon propre prénom, c'est totalement ridicule. Tout ce qui me vient, ce sont des chiffres, mais je ne suis pas un robot, mon prénom n'est de toute évidence pas une suite numérique.

Des chiffres défilent dans mon esprit, toujours les mêmes. Je secoue la tête et tente de mettre la main sur des lettres qui me seraient utiles pour former mon prénom, mais ces fichus chiffres reviennent encore et toujours. Le cinq, puis le huit, le deux et enfin, le trois. Cinq mille huit cent vingt-trois. C'est ridicule, totalement ridicule. Je ne peux pas répondre à sa question, je ne peux pas lui dire que je m'appelle cinq mille huit cent vingt-trois, elle va me prendre pour un fou, je vais perdre toute crédibilité. Et puis je ne la connais pas, il se peut qu'elle soit mon ennemie, je ne dois pas trop prendre de risques avec elle. Je ne dois pas perdre de temps et me défaire au plus vite de ces menottes et de cette proximité que nous partageons.

Je me lève, elle fait de même tel un pantin ; de toute façon, tant que nous serons attachés l'un à l'autre, nos mouvements se feront à l'unisson. Nous sommes tous les deux debout dans cette végétation luxuriante qui me met mal à l'aise, je ne me sens pas à ma place. J'ai été lâché en milieu hostile, dans un endroit qui m'est inconnu, avec une personne que je ne connais pas. Je m'approche d'un arbre et la fille me suit, puisqu'elle n'a pas le choix.

— Hé, je t'ai posé une question ! insiste-t-elle.

Elle ne va donc pas me lâcher ? J'ai très envie de lui poser les questions qui se bousculent dans ma tête, mais le fait est que je dois d'abord briser la petite chaine qui nous lie. Ensuite, je ferai pression sur elle pour qu'elle me raconte tout ce qu'elle sait, j'aurai l'avantage. Ouais, c'est un super plan.

Je l'ignore une nouvelle fois et dirige nos mains vers le tronc de l'arbre. Elle tente de résister et de garder son bras près de son corps, mais je suis plus fort qu'elle, elle ne devrait pas penser une seule seconde qu'elle m'empêchera de briser ce lien. Je tire une nouvelle fois, plus sèchement, entrainant son poignet là où je veux. Je positionne la chaine qui sépare nos menottes contre le tronc, pour évaluer l'angle d'attaque que je devrai adopter. Ça me semble bien, alors je baisse mon bras libre et balaye le sol des yeux, pour y trouver une pierre ou quelque chose plus ou moins dur, susceptible de briser la chaine. Elle est plutôt courte, mais assez épaisse, certainement faite dans les bons matériaux pour s'assurer que personne ne réussisse à s'en défaire. Et même si j'y parvenais, j'aurais toujours ce bracelet métallique au poignet. Mais au moins, je serais libre.

Je trouve une pierre aux bords tranchants par terre, je la ramasse, entrainant la fille dans tous mes mouvements. Bizarrement, elle ne réitère pas sa question et ne tente pas de protester ou d'empêcher ce que je m'apprête à faire. Elle a l'air encore plus perdue que moi, mais pas craintive. Pourtant, il va bien falloir qu'elle me craigne si je veux obtenir des informations de sa part. Elle ne coopèrera pas, sinon.

Je repositionne les menottes comme lors de mon test et je commence à frapper la chaine avec la pierre. La fille me laisse faire, comme si elle avait totalement confiance en moi ; en même temps, elle doit approuver mon idée. Elle penche la tête, comme de peur que je lui envoie un coup par mégarde. Je cogne, encore et encore, mais le métal semble très solide. Après avoir tenté une bonne cinquantaine de fois, j'ai aussi frotté la pierre sur la chaine, mais elle reste intacte. Je jette mon arme de fortune au loin et me laisse tomber contre l'arbre, entrainant la fille avec moi au sol.

Je ne sais pas quoi faire, briser cette chaine me semblait être mon seul espoir, je voulais m'en aller d'ici. Je n'ai aucune idée de ce que nous faisons là, je sais juste que nous ne sommes pas ici chez nous. De toute façon, si j'avais réussi à casser les maillons, je ne sais pas où j'aurais pu aller ; je ne connais pas cet endroit et ma mémoire me joue des tours. Je regarde la fille qui fixe le sol, elle ne me parle plus. Je me prends à me trouver dur, j'aurais pu lui répondre, nous pourrions partager notre expérience, ou plutôt notre non expérience. Mais j'ai décidé de la tenir éloignée, elle ne doit pas croire qu'elle pourra dépendre de moi, je ne saurai pas la protéger.

— Cinq mille huit cent vingt-trois, je finis par dire.

— Huit cent trente-quatre, me répond-elle.

J'hallucine. Je pensais qu'elle allait me regarder de travers, rire ou même m'insulter. Mais à la place, elle m'offre une réponse similaire, elle me parle d'un nombre. Est-ce qu'elle aussi ne se souviens que de ça ? Pourquoi ?

ASYLUMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant