LILY
Ça fait déjà plus de vingt-quatre heures que je suis enfermée dans cette cellule, j'ai vu le soleil se lever deux fois, l'éclairage de ma cellule a été cadencé par les rayons de cette étoile en constante activité. Je me dis qu'il est libre lui au moins, moi je ne peux pas bouger. Je ne verrai pas le soleil se lever une fois de plus si on ne m'apporte pas à manger bientôt, les forces me manquent et mon corps menace de m'abandonner. Il résiste parce que je le supplie de tenir et de ne pas sombrer. Je n'ai pas cherché à me lever, je m'évanouirai à coup sûr, alors je suis restée allongée par terre, le sol froid contre ma joue, mes genoux repliés contre mon ventre.
Personne n'est venu me rendre visite depuis que Kyle m'a jetée ici, je me demande s'il en est de même pour Riley, s'il va bien et s'il a eu le droit de manger. Je me demande aussi s'ils lui ont fait rencontrer le chef et s'il l'a menacé, comme avec moi. Me poser des questions me tient éveillée mais ça me fatigue aussi. J'ai dormi quelques heures, mais jamais bien longtemps, les gargouillements de mon ventre me réveillaient. En même temps, depuis une semaine je ne me suis nourrie que de quelques barres de je-ne-sais-quoi et d'un peu d'eau, mon corps est alarmé, il sait que quelque chose ne va pas. J'ai eu des souvenirs de temps à autres, des moments de bonheur et de complicité avec ma famille, sans jamais entendre leurs prénoms. Ou peut-être étaient-ce des hallucinations dues à mon état critique, je ne sais pas. Alors, sans que je ne m'y attende, la lourde porte de ma cellule s'ouvre, laissant pénétrer de l'air neuf et mes poumons en profitent pour l'engloutir instantanément. Je n'ai même pas la force pour lever la tête et voir qui me rend visite, ça n'a aucune importance de toute façon.
— Assieds-toi, me dit une voix masculine sur un ton autoritaire.
Je ne reconnais pas tout de suite la voix, je suis trop fatiguée pour ça. Je n'ai même pas assez de force pour commander à mon cerveau que je dois m'asseoir, je reste en boule et ne bouge pas. Je suis déjà brisée, ils peuvent bien me faire tout ce qu'ils veulent. Je suis faible dans un corps qui ne répond plus, enfermée avec des individus qui me font du mal et on m'a volé mes souvenirs. Je ne reverrai plus cette famille heureuse que je vois dans mes rêves et je n'humerai plus l'odeur des fleurs, des fruits et de la terre de l'arboretum. Je ne verrai plus les papillons et les abeilles se poser sur les fleurs pour en butiner le pollen.
— Je t'ai dit de t'asseoir.
Il répète sa demande, sur un ton plus froid maintenant et je reconnais sa voix, c'est Kyle. Je n'arrive cependant toujours pas à bouger, mon corps et mon esprit me lâchent, petit à petit. Les cellules de mon corps s'éteignent au gré des secondes qui passent. Une main ferme m'agrippe le bras, la seconde d'après, je suis assise contre un mur et ma tête tourne. Je regarde le visage de Kyle, cet homme qui s'est transformé en l'espace d'une journée, cet homme gentil et naïf dont je me servais, il n'a plus rien de gentil ou de naïf désormais. Il ressemble bien plus à Jordan, il est cruel et sans pitié.
— Est-ce que tu m'entends ? me demande-t-il.
Je le fixe, sa voix parait lointaine mais à la fois trop forte, c'est une impression étrange qui me donne le tournis.
— Dis-moi ton nom, dit-il.
— Huit cent trente-quatre.
— Quoi ? C'est un numéro ça, pas un nom.
— C'est mon nom.
Je débloque totalement, ça y est. Il y a un décalage monstre entre ce qui se passe dans ma tête et ce que mon corps fait.
— Lily, arrête de dire n'importe quoi...
— Lily, c'est ça, je lui réponds.
Je l'entends marmonner, mais je ne suis pas sûre de tout comprendre, je crois entendre « fait chier » mais peu importe. Il farfouille dans un sac qu'il a amené avec lui et en sort une trousse dont il extrait plusieurs outils. Premièrement, il s'empare d'une petite lampe qu'il allume et rive droit devant mes yeux. Il m'écarte les paupières et observe mes pupilles. C'est très étrange comme manière de procéder, assez brutal et désagréable, par la même occasion. Il prend ensuite un autre objet qu'il m'enfonce cette fois dans l'oreille, l'appareil émet un bip et Kyle le retire. Il range sa trousse dans son sac et en sort cette fois un engin que je n'ai jamais vu de toute ma vie. Il s'agit d'un boitier connecté à un cordon relié à un brassard qu'il m'enroule sur le bras et le serre à l'aide d'un scratch. Il appuie sur un bouton et le brassard se serre et emprisonne mon bras, je ne comprends pas à quoi ça sert. Une sensation d'engourdissement s'empare rapidement de mon membre, puis la pression s'atténue et Kyle me le libère. Il étudie les informations sur l'écran, l'air concentré. On dirait une visite médicale, mais avec des outils que je n'ai jamais vus de ma vie ou du moins, ce ne sont pas les mêmes.
— Je t'ai apporté à manger, me dit-il d'une voix plus douce qui me rappelle celle que j'avais l'habitude d'entendre.
Il range son matériel dans son sac et en sort plusieurs aliments. Je vois un bout de pain, de l'eau et un bol fumant. Il me tend le bout de pain, j'ai à peine la force de l'attraper – sans parler du fait que je sois ligotée. Il insiste encore quelques secondes et voyant que je ne l'attrape pas, il le pose par terre. Il dévisse la bouteille d'eau et me la tend, je suis comme une coquille vide, je suis présente psychologiquement mais mon corps m'a lâchée depuis longtemps. Comme je n'attrape pas la bouteille, il pousse un juron et l'approche de mes lèvres. Je fais un effort pour boire puisqu'il m'aide et plus je bois, plus je me sens assoiffée. Il déverse ainsi toute l'eau dans ma bouche. Il en sort une autre de son sac et me la propose. Cette fois-ci, je la prends tant bien que mal malgré mes mains ligotées et la vide à une vitesse impressionnante, puis je prends le bout de pain et le mange, je ressens la faim qui me tiraille.
Kyle avance vers moi le bol fumant, j'en détaille l'intérieur, ça ressemble à de la soupe de tomate déshydratée. Je me rappelle que j'avais l'habitude de boire ça, nous ne consommions pas de légumes frais, mais nous consommions ses dérivés modifiés. Je la bois en ignorant la brûlure que m'inflige le liquide aux lèvres, à la langue et au palais, c'est tellement bon. Une fois que j'ai terminé Kyle m'offre une petite bouteille opaque. Il en retire le bouchon et je renifle l'intérieur, ça ne ressemble en rien à ce que j'ai déjà bu auparavant.
— Qu'est-ce que c'est ? je demande.
Kyle me fixe, il doit hésiter à me répondre normalement ou à m'envoyer balader.
— Des compléments alimentaires.
Je suis étonnée de sa réponse. Là d'où je viens, nous ne consommons pas de compléments alimentaires, ils sont réservés à ceux qui en ont les moyens et ils sont offerts à ceux issus du programme de Protection et Combat, peut-être que Riley connait. Je lui prends le récipient des mains, nos doigts s'effleurent, Kyle frissonne et retire instantanément sa main, comme si mon contact l'avait brûlé, ou plutôt comme s'il refusait catégoriquement de me toucher. J'ignore son comportement et bois le liquide opaque et blanc, je dois dire que ce n'est pas mauvais, ça a un petit goût fruité, chimique et sucré. Kyle range tous les emballages dans son sac et s'apprête à s'en aller. C'est le moment ou jamais, je dois lui poser les questions qui me taraudent, je dois au moins essayer.
— Qu'est-ce qu'ils vont faire de moi ? je demande. Pourquoi vous nous gardez ? Et pourquoi tu es devenu si dur avec moi ?
— Tu gardes tes questions pour toi.
— Réponds-moi.
Il m'ignore et commence à marcher en direction de la porte de ma cellule.
— Kyle, s'il te plait. Je suis désolée pour ce que je t'ai fait, mais comprends-moi, je devais m'en aller. Je sais que tu n'es pas comme...
— Arrête de parler ! crie-t-il.
Il est désormais tourné vers moi et il a l'air sacrément en colère. Une veine bat sur son front et ses poings sont resserrés.
— Tu arrêtes de me parler, tu comprends ? me demande-t-il sur un ton glacial. Je ne suis pas ton ami.
Devant mon mutisme, il s'approche de moi et s'agenouille à mon niveau. Je n'ai pas envie de le regarder, il me dégoûte. Je ne sais pas à quoi il joue mais je n'apprécie pas sa double personnalité. Tandis que je regarde le sol pour ne pas avoir à regarder son visage déformé par la colère, il m'attrape la mâchoire d'une main et lève ma tête vers lui pour me forcer à le regarder, il serre assez fort pour que je ne résiste pas.
— Est-ce que tu comprends ? Tu dois arrêter de lutter et de te poser des questions, tu te mets en danger. Tu fais ce que je te dis et c'est tout.
Son regard est perçant, mais pas aussi froid que son ton. Il me scrute droit dans les yeux et les siens ont l'air à la fois perdus, doux et protecteurs, ce qui contraste avec son ton autoritaire. Il essaye de me faire comprendre quelque chose mais je ne saisis pas quoi. Il libère finalement ma mâchoire de son emprise et me donne une légère tape sur la joue, comme s'il me félicitait d'être une gentille fille obéissante, je trouve ça complètement déplacé. Il se relève et s'en va, me replongeant dans la solitude. Sauf que cette fois, j'ai recouvré mes forces et mon mental est bien plus fort que tout à l'heure. Je dois trouver une nouvelle solution pour sortir d'ici et cette fois, je ne pourrai pas compter sur Kyle.
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ASYLUM
Science Fiction2095, dans un monde post-apocalyptique où l'innovation a pris le dessus, ils se réveillent au beau milieu d'une nature luxuriante qui ne ressemble pas à là d'où ils viennent. Une fille, maligne et déterminée. Un garçon, égoïste et prêt à tout pour...