Chapitre 5

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LILY

Lily. Lily. Lily ! Je me répète mon nouveau nom sans cesse dans ma tête avec toutes les intonations possibles et imaginables, pour voir comment ça sonne. J'aime bien et c'est bien mieux que huit cent trente-quatre. J'aimerais cependant comprendre pourquoi nous pensons nous appeler par des numéros, c'est ridicule, pourquoi ces trois chiffres, huit, trois et quatre ?

Je n'ai pas la notion du temps, je suppose que quelques heures sont passées. La nuit est noire et la pleine lune nous éclaire de sa forte lueur. Je pose un œil sur la menotte qui me lie à Riley, elle est bien trop serrée et elle me fait mal. Je ressens un léger pincement au cœur à l'idée qu'il réussisse à nous séparer, je sais qu'il veut faire bande à part, mais ça m'inquiète parce que mine de rien, je sais que j'ai besoin de lui. Je ne le connais même pas mais j'ai vite été forcée de lui faire confiance, je pense qu'il pourrait nous aider à comprendre ce qu'il nous arrive et à nous en sortir. Le truc, c'est que lui n'a pas besoin de moi.

Depuis que j'ai eu ce souvenir de moi petite dans l'arboretum, je ne cesse de retourner mon esprit dans tous les sens pour tenter de me rappeler quelque chose mais rien n'y fait, ma mémoire semble capricieuse, elle m'impose les souvenirs qu'elle veut, quand elle le veut. Je me rappelle tout de même mon âge, je sais que j'ai fêté mes dix-neuf ans il y a un mois de ça. Je sais que j'adore les fleurs, les plantes et m'occuper des fruits et légumes du jardin botanique. J'aime ma mère, plus que tout, j'ai le souvenir d'une personne douce et réconfortante.

Lorsque j'essaye de penser à ma vie, je distingue des scènes brèves, des visages, des lieux, des concepts, mais sans savoir mettre des mots ou des noms dessus. Je vois des images familières mais à chaque fois que j'essaye de me forcer à retrouver ce à quoi elles correspondent, un mal de crâne puissant me martèle, me forçant à arrêter de réfléchir. On dirait que ma mémoire est intacte mais que je n'ai simplement pas le droit d'y accéder, il y a comme une barrière qui m'en empêche.

— On ferait mieux de dormir, me dit Riley.

— Et demain matin, on fera quoi ? je lui demande, anxieuse.

— Eh bien, je vais essayer de briser cette chaine une nouvelle fois et ensuite, tu ne me reverras plus.

J'ai une boule au ventre à chaque fois qu'il fait allusion à cela.

— Pourquoi tu veux tant être seul ? Je veux dire, tu ne sais rien de toi et tu ne sais rien de l'endroit où nous nous trouvons. Ce serait dangereux.

— Effectivement, je n'en sais rien. C'est bien pour ça que nous devons nous séparer, nous serions inutiles l'un pour l'autre.

Son raisonnement me laisse sans voix. Je ne sais pas s'il a raison ou si ce qu'il me raconte est bel et bien illogique, en tout cas, ça me dépasse. J'ai peur de ce qu'il pourra m'arriver une fois seule. Je sais très bien que pour l'instant, il n'a la solution à rien, il est aussi désarmé que moi – sauf s'il m'a menti – mais je sais aussi qu'à deux, nous serions plus forts. Une part de moi espère qu'il ne parviendra pas à briser les chaines, je panique rien qu'à cette idée, je veux qu'il reste avec moi. Je n'ai jamais aimé la solitude, c'est encore une chose que je sais de moi. Quoi qu'il en soit, je ne pourrai pas lui avouer que j'ai peur. Je dois faire semblant et rester un minimum forte et crédible parce que si je lui montre mes faiblesses, il aura raison de me prendre pour un boulet.

Nous sommes toujours adossés à notre arbre et lorsque je regarde Riley, il a déjà les yeux fermés. Nous allons devoir dormir assis, contre ce tronc. Ça me convient, de toute façon, je ne pense pas réussir à fermer l'œil de la nuit.

Je marche dans les allées du jardin botanique. Il est vraiment magnifique, il couvre plusieurs hectares et est recouvert d'un immense dôme en verre percé de milliards de trous microscopiques, laissant l'air circuler. Ce dôme est tout simplement fascinant, nous l'avons étudié à l'école. Je suis la seule de ma classe à y avoir pénétré alors on me pose beaucoup de questions, on m'appelle même « la pro du dôme ».

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