Chapitre 3

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Pendant que j'attendais que monsieur daigne me prêter ne serait-ce qu'un peu d'attention, j'étais en pleine introspection. J'attendais de lui qu'il me dise qui il est, mais je me suis rendue compte que je ne savais moi-même pas qui j'étais. Tout ce qui me venait en tête, c'était un nombre : huit cent trente-quatre. Je ne comptais pas lui en parler, après tout, il se comporte en rustre depuis son réveil. J'ai patiemment attendu qu'il se réveille mais j'ai vite déchanté lorsque je me suis rendu compte que j'avais affaire à un fou furieux, impoli de surcroit. Il a attendu d'être découragé par l'échec de sa super idée pour me dévoiler son nombre. Tout aurait été plus simple s'il avait accepté de communiquer avec moi depuis le début, nous aurions déjà pu rassembler un paquet d'informations nous permettant de comprendre ce qu'il nous arrive. Je réfléchis à quoi lui demander, j'ai peur qu'il se braque et qu'il m'ignore encore une fois. Finalement, je n'ai pas à chercher longtemps puisqu'il se lance en premier.

— C'est tout ce dont tu te rappelles ? me demande-t-il.

— Oui. Quand j'essaye de trouver mon nom, je ne me rappelle que ces trois chiffres, huit, trois et quatre. Huit cent trente-quatre.

— Pareil pour moi, déclare-t-il.

— À ton avis, qu'est-ce qu'on fait là ?

— Je n'en ai pas la moindre idée.

J'ai l'impression qu'il n'a pas plus de mémoire que moi, lui poser des questions reviendrait à me les poser à moi-même ; autant dire que ce serait inutile. Si je résume bien, j'ai tenté de me souvenir de mon nom et de la raison de ma présence ici et je n'ai pas trouvé les réponses. Je n'ai en revanche pas essayé de me souvenir de ma vie, ce dont je pourrais me rappeler si je faisais un petit effort. On ne peut pas oublier une vie entière.

— Tu ne te rappelles pas ton prénom, mais est-ce qu'autre chose te revient ? je lui demande. Est-ce que tu sais à quoi pourrait correspondre ces nombres ?

— Je ne sais pas...

— Fais un effort, s'il te plait.

— J'ai dit que je ne savais pas ! s'énerve-t-il

Je sursaute face à tant d'agressivité. Il a l'air sur les nerfs, j'espère que c'est seulement dû à notre condition et que ça ne fait pas partie de son tempérament.

— Pas la peine de t'énerver, je lui fais remarquer.

— Pas la peine de poser autant de questions, me répond-il sur le même ton.

— On dirait que tu n'as pas envie de comprendre, que tu t'en fiches...

— Laisse-moi tranquille, j'ai besoin de réfléchir. C'est pas avec toutes tes questions qu'on va s'en sortir. Je dois casser ces menottes et ensuite, crois-moi, je me casse d'ici et on ne se revoit plus.

Décidément, il a le don de m'exaspérer. Je crois que je préférais encore quand il dormait, il avait l'air bien plus sympathique. Est-ce qu'il sait quelque chose que je devrais savoir ? Il est distant et sur la défensive, j'ai l'impression qu'il me cachait quelque chose, mais ça ne servirait à rien d'insister là-dessus, il n'a pas l'air de vouloir me parler. Je n'ai plus qu'à plonger dans mes souvenirs, peut-être que quelque chose pourrait me revenir.

Je cueille une pomme, dans le grand arbre qui trône au centre de l'arboretum. Je la frotte avec mon tee-shirt afin de la nettoyer du mieux que je peux. Cette belle pomme rouge et bien ronde me donne envie d'y planter mes dents. Pourtant, je sais que je n'en ai pas le droit. Toutes nos rations sont limitées, comptées, surveillées. Si je m'emparais de cette pomme, ça se saurait d'une manière ou d'une autre. Maman me l'a formellement interdit ; j'ai le droit de venir travailler avec elle ici, mais je n'ai pas le droit de consommer quoi que ce soit. Mon travail se résume à la cueillette, je dois m'y tenir. D'un côté, je me demande comment les gérants de ce jardin botanique font pour savoir que quelque chose a disparu, ce n'est pas comme s'ils pouvaient prévoir à l'avance le nombre précis de pommes qui allaient pousser sur chaque arbre. Cette idée me rassure et me fait sourire. Je regarde autour de moi et je ne vois personne me surveiller, je suis seule dans cette allée, seule avec ma belle pomme bien rouge. Je l'approche doucement de ma bouche, j'ai l'impression que je suis en train de faire une bêtise, ce qui me provoque une montée d'adrénaline qui me rassénère et me laisse croire que tout va bien se passer pour moi.

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