La rage du loup

"Les souvenirs oubliés ne sont pas perdus."

De Sigmund Freud. 

De base, la guerre est dans notre sang, je dirai même qu'elle le nourrit. Mon père disait que la guerre en elle-même ne sert à rien, qu'il suffit d'une bonne branlée et d'une bonne discussion pour que les choses soient claires et rentre dans l'ordre.

C'est ce genre de pensées merdique qui l'ont tué.

Lui et ma mère, c'est ce qu'il se passe chez nous quand une des deux âmes sœurs meurt. L'autre s'éteint instantanément.

J'étais dans la forêt à ce moment-là, c'était il y a 802 ans au début du printemps. Une saison parmi tant d'autres, un siècle parmi tant d'autres c'est ce que je me plaisais à penser. Je chassais avec onze louveteaux de la meute, mon père m'avait demandé de leur enseigner deux trois choses basiques. Je le faisais souvent. Tout se passait bien, il y avait déjà quelques bons éléments. Simon était comme souvent avec moi, j'aimais bien chasser avec lui il était doué un peu boulet sur les bords, mais doué quand même. En tout cas, c'était mon meilleur ami et nos loups s'entendaient à merveille. Cet idiot faisait exprès de faire fuir une proie en faisant du bruit ou en se mangeant le sol, pour détendre l'atmosphère qu'il disait... d'après lui je suis trop sérieux. La bonne blague.

Lui aussi est mort quand son âme sœur a fermé les yeux pour la dernière fois. Ce jour-là j'ai vu et senti toutes leurs vies s'éteindre. Il y a même des gosses qui ont rendu leur dernier souffle de vie à ce moment-là. On peut rencontrer notre moitié à n'importe quel moment. Pour le coup c'est vraiment la merde.

Voilà comment une bénédiction devient une malédiction.

J'ai senti mon père mourir, pourtant on était à des dizaines de kilomètres l'un de l'autre, mais j'ai tout sentis. De sa surprise, à son dernier souffle sans oublier la peur et la douleur. Je sais qu'il a pensé à nous juste avant de toucher terre. Ça aussi je l'ai ressenti. Ce genre de connexion se passe quand un Alpha rend l'âme, normalement c'est entre le chef de meute et son Beta. Le truc c'est que mon père n'était pas un Alpha, enfin il n'a jamais voulu de ce rôle pour être plus claire et moi je ne suis pas son Beta juste son fils. Dans le genre c'est déjà pas mal. On parle quand même du Premier et de son hôte humain ! Pas toujours simple de passer derrière quoi que j'en ai jamais rien eu à foutre de tout ça, pour moi ce n'était qu'mon père. Un très bon père soit dit au passage.

— J'te motive comment l'animal !? Il a essayé de grogner en plus ce con d'humain ou je rêve ? Je m'insurge aussi tôt.

Je l'ai senti avant de l'entendre ce gros porc, c'est toujours le même qui vient me faire chier le matin. On a une sortie matin midi et soir pour pisser, un repas par jour et une douche toutes les semaines... C'est qu'ils sont bons ces cons hein ? Tas de viande avariée.

J'lui réponds pas, mais je grogne plus fort que lui. Il ne recule pas pour autant, il n'y a qu'une simple porte en métal entre nous. Je sais que j'ai la force de tout envoyer valdinguer, je le sais parfaitement puisque je l'ai déjà fait. Au passage j'ai du tuer quelques humains et bouffer un peu de viande, rien de bien grave. Au passage elle n'était pas bonne.

J'en rirais presque si ce n'était pas aussi pitoyable.

— Ho ! Perro ! Va à ta place ! Il siffle entre ses dents.

Je ne me lève toujours pas, Myst continue de gronder. Lui aussi, s'il en avait la force il les aurait tous tués.

Finalement, heureusement que mon père est mort, au moins il n'a pas vu toute cette putain de déchéance. Il est mort à la bonne époque en gros. Chanceux. Avant on était une meute calme, personne ne venait nous chercher des puces, en même temps on vient pas faire chier le fils d'une Déesse et encore moins le Premier loup de notre histoire. C'est que ça en impose cette merde.