Les époques dégueulasses sont propices aux chefs-d'oeuvre.

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De Georges Wolinski.

Comme à chaque fois que je me fais gazer je me réveille avec un putain de mal de crâne. Mon grondement résonne dans toute la pièce, je me contre fou de savoir si je suis seul ou non. De toute façon, je sais que je ne le suis pas, je sens l'odeur d'un autre loup. Une lumière crue me fait rougir les paupières, je vois des petits points blancs danser devant les rétines. Une odeur d'antiseptique me fait froncer le nez, par réflexe je montre les dents, au fond de moi Myst se réveille aussi. Il est encore groggy, mais il grogne quand même. De toute façon il a toujours quelque chose à dire celui-là.

Sa voix me manque. Il y a encore quelques siècles, je pouvais l'entendre en moi, on parlait de tout et de rien tout le temps. C'était naturel, mais depuis que l'on manque de tout Myst s'est retranché loin dans le fond mon esprit. Je sais qu'il est toujours la je le sens et entends ses grognements, mais on ne se parle plus. En un sens, il est comme moi, il se préserve pour survivre. C'est vraiment pitoyable.
Même quand il prend ma place il n'est plus le même, avant il aimait courir, chasser et jouer avec ses congénères maintenant... Disons qu'il supporte mal l'emprisonnement.

Un peu en face de moi je sens des mouvements, je sais que c'est l'autre loup. Il est encore sous sa forme humaine. Moi aussi d'ailleurs, et a ce que je peux sentir je n'ai fait que très peu de sale boulot avec lui. C'est un bon combattant, mais il est désespéré tout comme nous autres, et comme nous il souhaite y passer le plus tôt possible. La souffrance on s'en tape, seul le résultat compte. Éclatez-nous la tronche de la façon dont vous voulez, mais laissez nous creuver.

— Perro ! Tu vas dehors, m'bouffer un con ! Bouge pas sac a merde !

Je n'ai même pas grogné. J'ai soufflé sans ouvrir les yeux. Je sens une seringue se planter bien profondément dans mon cou. Ce con d'humain m'injecte une connerie typiquement humaine. Une nano bombe, un truc dans l'genre. Tout ce que je sais c'est que quand on finit le boulot elle explose et nous envoi dans les bras de Morphée. Si on se casse on y va aussi, si on essaie de se l'arracher on meurt, car on embarque notre carotide au passage. Tentation agréable. Foutu instinct de survie à la con...

— Muselez-le ! Ce con d'humain beugle encore des ordres à d'autres cons d'humains. Deux mous du genou viennent m'attacher à mon lit à grand coup de scotch et de ficelle. Le lit se redresse et je suis traîné dans un couloir sombre.
J'ouvre les yeux sans trop me presser et je me retrouve face a l'autre loup, il me regarde aussi et baisse imperceptiblement la tête. Il sait que je suis plus dominant que lui. Ces cons d'humains n'ont pas vu notre petit manège et tant mieux, ils pensent tous qu'il n'y a que des Bêtas parmi nous. Tant mieux.

Vraiment.

On s'fait embarquer dans un gros camion qui put la mort et souffrance avec un léger soupçon de merde. Quand les portes se referment sur nous, la noirceur de notre nouvel environnement m'est familière. Je ne compte plus les fois ou on m'y a enfermé. J'ai même eu la connerie de croire que j'allais être libéré.

La bonne blague, pauvre naïf que j'étais.

— Mon loup ne veut pas sortir. Me murmure l'autre loup, sous-entendu force-le a sortir je ne veux pas me faire flinguer. Tout est prétexte à se faire flinguer avec ces cons d'humains. Alors oui on veut y passer, mais pas de leur main. Un peu de fierté quand même merde !
— Il me suivra. Je lui assure en un souffle, je serre les dents, car je hais ça. Toute cette merde me rend dingue.
Au fond de moi Myst cesse de grogner une seconde, je sais qu'il se sent utile. J'ai l'impression de voir son regard d'or se planter sur moi. Mon Loup est un vrai meneur, il ne vit que pour son hypothétique meute et elle ne vivra que pour lui.
— Il faut l'aider Myst. Je souffle mentalement à mon loup en appuyant ma tête contre le haut de mon lit.
Il me répond en sortant un peu de sa cage, pas assez pour que l'on puisse parler, mais juste assez pour me faire comprendre qu'il est là et qu'il jouera son rôle.

Au bout de quelques heures, le camion ralentit, le gars en face de moi commence à trembler, il a peur. Moi aussi, pas forcement pour moi, mais plus pour Myst et lui.

— Leur fais pas cet honneur, je lui dis en posant ma voix. Leur montre pas que tu flippes, les regarde pas.
— Et si je ne me transforme pas ? L'angoisse dans sa voix me les brise, je ne supporte pas qu'un loup se rabaisse face à un putain d'humain.
— Tu te transformeras, Myst t'y aidera. Je ne le regarde pas quand je lui dis ça. Le regarder signifierait que c'est une promesse d'Alpha, chose que je ne suis pas.
En tout cas, ça le calme. Tant mieux pour moi.

— Perro ! Allée con de chiens ! C'est l'heure de la sortie ! Encore un putain d'humain qui s'y croit trop. Une fois de plus je retrousse mes lèvres sur mes dents. Bastardo ! Renifle ! Il déchire un tissu ne deux et ne le fou sous nos pifs.

Que j'ai envie de lui bouffer la main. Un simple mouvement sec et paf adieux ta jolie mimine du con, je vois l'autre loup me regarder, on a pensé à la même chose. Il montre ses dents lui aussi, je souris. Il en a encore dans le coffre, il le fait même s'il sait qu'il va se manger une droite, au mieux. C'est plus fort que nous. On est pas fait pour se laisser bouffer.

Le tissu a une odeur de cigare froid, de sang, de haine et de citron. Il y a deux types de sang, celui d'un autre, un innocent qui pu la peur et la mort et le sien qui pu le champignon pourrit.

Notre instinct prend le dessus, notre cœur s'accélère, notre souffle aussi. On ne se rend même pas compte que l'on se fait détacher. Je tombe sur mes genoux et mes mains pour me transformer aussi tôt. Myst ne me fait pas souffrir, mon père m'a appris comment faire il y a des siècles et Myst n'a jamais eu la volonté de me faire du mal.

Le loup en face de moi a été torturé, il lui manque des coussinets sur une de ses pattes avant. Sa robe est typique du loup des forets alors que la mienne est celle d'un loup de la nuit. Pas complètement noir, mais bien foncé quand même.

Myst grogne. Il n'aime pas ça, voir les stigmates des tortures sur nos congénères est quelque chose de très violent. Moi non plus j'ai envie de tous les tuer, de le venger ! On fait un pas en avant prêt à sauter sur le premier mortel qu'on croise. Je vois tous grâce aux yeux de Myst je sens aussi tout ce qu'il ressent, on a envie de le bouffer de la tête aux bottes sans qu'il ait le temps de respirer.

— Perro ! Me prévient un con d'humain en me pointant avec un fusil, je sens l'odeur de la poudre. J'ai envie de grogner, mais je conjure Myst de ne pas le faire, de se casser pour aller faire le boulot.

La bonne époque est finit il ne faut pas l'oublier, si on meurt, on meurt à deux. Ça me fait vraiment chier.

L'autre loup me suit, je l'entends pas, mais je le sens. Son souffle rebondit sur mes pattes arrière signe qu'il a déjà la tête basse pas comme un soumis, mais comme un chasseur. J'ai déjà du bosser avec un Omega et c'était la merde, peu d'entre eux sont des guerriers, c'est pas dans leur nature.

On repère vite l'odeur de notre steak, il n'est pas seul, on s'en fou. Il faut qu'on le tu, qu'on assure notre survit. Alors tant pis pour le reste, qu'on ne nous parle pas de morale ou autres conneries dans le genre. Y'a rien de moral à nous enfermer et à nous soumettre ainsi, y'a rien de moral à nous torturer !

Je m'arrête, retiens un grondement, plante mes pattes bien profondément dans le sol et pose ma respiration. Il se place à côté de moi et fait exactement la même chose.

Instinct avant tout. Et celui du chasseur aussi.

En une poignée de minute, tout est fini, on a fait un pur massacre. On a bouffé tout ce qu'on a pu avant de se faire sauter le caisson. On s'est gavé juste au cas ou, encore une histoire d'instinct. Nos loups s'en sont donné à cœur joie, quelques parts ça les réveille un peu. Et qu'on ne me parle pas de cruauté sinon je risque de me fâcher.

Puis l'objet humain explose dans notre cou, pas assez violemment pour nous déchirer en deux mais juste assez pour nous blesser et libérer le poison qui fait dormir.

Je crois que je sombre avec un foie ou un rein entre les crocs.

La rage du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant