La tendresse et le ridicule ont parfois un air de famille

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De José Fréchette

Je sens ma meute qui se pose un tas de questions, ils ne parlent pas, mais je sens ce qu'ils ressentent. Dans peu, ils vont le prendre pour un dingue, si c'est pas déjà fait... Myst les rassure à sa façon, il fait transpirer son pouvoir à travers moi et l'étend jusqu'aux nôtres. Il les touche avec, doucement, comme une caresse. Ça les rassure, comme une bonne douche chaude après une journée de merde. Ça fait du bien, ça détend.
C'est quelque chose que mon père et le Premier ne savaient pas faire, Nautoo ne pouvait pas étendre son pouvoir très loin. Nous on peut.

Devant nous le vieux à la canne de la veille se ramène à sa vitesse, pas super rapidement donc, quand il nous voit il nous sourit et hoche la tête en guise de salutation. Il n'ouvre pas la bouche quand il passe devant nous, il continue son petit bout de chemin à son allure sans nous adresser un regard. J'ai presque envie de le choper pour le forcer à nous saluer comme il faut au lieu de grogner tout seul comme un con.

— Comment va Gaby ? Ton café est fait.

De la ou on est, j'entends la voix de la nana, cette crevure sans nom, je ne sais pas ce qu'il lui répond, mais pas mal se marre. Une fois de plus je grogne tout seul.

— Allons marcher. Me souffle mon alter ego en prenant possession de mes yeux.
Je me détourne et m'enfonce dans la forêt les mains dans les poches. Il n'y a pas d'autres d'odeurs autour de nous, juste le calme plat et serein de la nature. J'ai enfin l'impression de respirer, je laisse tomber ma tête en arrière pour me gaver les poumons un moment.
— Tu veux la place ? Je lui demande en enlevant déjà mes pompes, au final je ne lui pose cette question que pour la forme. Je sais qu'il en envie, puis on est sur le territoire d'une ayant droit donc on est en sécurité. Au passage qui n'en aurait pas envie ? Il n'y a que de la verdure à perte de vue, rien d'autre. Ce serait chez nous, on serait au paradis.

Je suis à peine à poil que Myst fait craquer tout mon corps pour prendre ma place. Ce bruit résonne dans toute la forêt, comme un avertissement aux êtres vivants. Attention steak sur patte, le grand méchant loup est là et comme souvent il a les crocs.

Myst s'ébroue et s'étend de tout son long en faisant craquer ses os comme a son habitude. Il se met à courir tranquillement sans but précis, il se laisse juste porté par le vent qui fait voltiger de fines feuilles gorgées de vie et de soleil. Je ne regarde pas vraiment ce qui nous entoure à travers ses yeux, j'ai juste envie de me laisser couler un moment. Je viens de me rendre compte que nous sommes au printemps, ça fait si longtemps...

  Dans mon antre je m'écroule comme une daube sur un gros pouf gris, j'avais le même dans ma piaule. À la bonne époque, je pouvais y passer des nuits entières. Quand je ne passais pas mes nuits dehors.

— Ça sent le hérisson. Commence Myst en sniffant le sol.
— Tu vas encore t'éclater le museau...

Il ne me répond pas, il me grogne dessus pendant que je me fou de lui. Il râle et se fou complètement de ce vieux souvenir douloureux, il veut se bouffer de la bestiole a piques, a ses risques et péril.

Bien au chaud dans mon antre je déconnecte un peu. Il faut dire qu'on a pas vraiment eu le temps de souffler avec la meute. J'ai l'impression que ça fait des siècles qu'on s'est enfui... combien de temps ça fait vraiment ? j'en sais foutrement rien et je ne tiens pas a le savoir, pas tout de suite du moins. On verra quand on sera à la maison. P't'être même qu'on trouvera de quoi en rire ? Plus tard ça, vraiment plus tard.

— Les Alpha c'est plus ce que c'était ! v'là que ça se la coule douce !
Je me redresse d'un coup et ouvre grand les yeux.
— Elsin ?!
— Fais surtout pas comme ci je t'avais manqué. Il me balance en se posant sur ses talons en face de moi.
Bien sûr il se fou de moi franchement. Il a ses deux coudes sur ses cuisses, ses mains pendent sur les côtés, il a aussi son sourire de blanc bec comme disait mon père et le Premier. Ouais c'est bien lui.
— Bon tu m'sors un paquet de chips ou faut que j'me débrouille pas moi-même ? qu'il me dit en haussant un sourcil châtain.

La rage du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant