La souffrance survit à toutes les excuses

118 18 9
                                    

Lise Harou


On avance toujours, j'ai l'impression qu'on ne s'arrêtera jamais. Je ne veux pas qu'on s'arrête. Chaque pas de plus est une souffrance, mais chaque pas en plus est aussi une libération. Que ça me plaise ou non on en a pas le droit, pas de chaleur, pas de bonheur, pas de soulagement, alors ouais, m'éloigner d'elle est aussi douloureux que bénéfique.

Heureusement que ce n'est pas mon âme sœur. On n'aurait pas survécu.


La meute et ma mission avant tout. Notre meute est ma mission.

Cette nuit, ni la lune ni les étoiles ne nous accompagnent. Elles nous fuient. Il fait nuit noire, c'est seulement grâce à nos alter ego que l'on voit ou l'on pose nos pieds. On avance. On le fera jusqu'à que mes tripes cessent d'exploser dans tous les sens en ravageant tout ce qu'il me reste de bon en moi. Autant dire que c'est pas gagné. Au-dessus de nous le Piaf fait des ronds, il veille à sa façon sans nous approcher.

Je ne veux pas qu'il traverse l'océan avec nous, d'ailleurs on va faire comment ? On est des loups pas des putains d'poissons !

— On fait comment ? En rajoute Myst en piétinant sans faiblir.
— J'en sais franchement rien... Je grogne dans mon antre en faisant les cent pas comme un lion en cage.

Je finis par me laisser tomber comme une daube sur un gros siège orange qui vient d'apparaître. Je souris un peu en le voyant, je l'ai toujours trouvé laid pourtant j'adorais m'y blottir quand j'étais môme. Je le faisais jusqu'à que je ne rentre plus dedans. Faut dire aussi que je le faisais quand ma mère était dessus. Ses jambes ont toujours été confortables. Elle me caressait les cheveux jusqu'à que je m'endorme tout en me murmurant des mots que seule une mère sait prononcer sans accros.

Quand j'ai grandi, elle se posait toujours dessus je finissais souvent au sol la tête sur ses genoux. Sous n'importe quelle forme d'ailleurs.

C'était pas rare qu'elle et ma petite sœur se retrouvent avec trois loups à leurs pieds, dans tous les sens du terme d'ailleurs.

Sous nos pattes, la terre se transforme en béton. On n'est pas loin d'une ville portuaire à l'odeur. Plus ça va plus ça chlingue ! C'est aussi un eu poisseux. De la graisse. Quelque chose comme ça, rien de dangereux. Juste désagréable.

— On reste en alerte. Je souffle dans l'esprit de chacun des miens pendant que Myst lève le nez pour essayer de sentir ce qui nous entoure.

On se rapproche les uns des autres, on ne forme plus qu'une masse ronde de peau et poil tremblante d'excitation et un poil grognant aussi.

— On approche des docks, chef. La voix de notre second est basse, il n'est pas serein. Son énergie bou en nous. Il ne laisse pas de place à autre chose qu'a ce qu'il ressent.
— T'en penses quoi Yaps ? Je lui demande après avoir repris ma place sans un bruit.

Le cousin ne répond pas, il ne fait que secouer sa tête de gauche à droite en pinçant les lèvres. Il ne sait pas ce qu'il ressent, mais son instinct lui dit que quelque chose va merder.

Je lève les yeux vers le ciel, le Piaf n'est plus là. Je fronce les sourcils.

— Le Piaf ? Je me retourne pour être complètement de dos aux nôtres.

J'entends tout un tas de protestations, de bruits aussi et une paire de fringues qui éclate sous la pression d'une transformation violente et trop rapide. J'ai pas vraiment le temps de comprendre, d'analyser, tout va trop vite. Même pour nous.

Je me mange le sol la tronche la première, ma joue s'écrase contre le sol dur et égueulasse des quais. Une dent du fond éclate sous l'impact, je me mords durement la langue aussi. Mon sang remplit bien vite ma bouche, il coule le long de ma gorge et s'échappent aussi à travers mes dents et ma bouche. Je le crache en toussant.

La rage du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant