L'homme progresse tant qu'il accepte les épreuves

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De Anthony Lipsey

Il est parti peu de temps après. J'ai senti son cœur s'éteindre lentement, il a tout simplement cessé d'exister en douceur. Juste avant de s'endormir il m'a serré dans ses bras, il y a mis tout ce qu'il lui restait.
Là, ce n'était pas l'Alpha qu'il voulait, mais un loup rassurant et aimant, j'ai essayé de lui donner ce qu'il voulait. J'ai l'impression que ça fait des siècles que je n'ai pas donné un peu de chaleur à quelqu'un, ça doit bien quelques siècles en même temps. Dans le fond j'aime ce gosse, peut-être à cause de ce foutu instinct, franchement j'en sais rien et je m'en tape. J'ai serré un peu plus ses jambes contre moi et donné un coup d'épaule pour qu'il se loge un peu plus contre moi.

— Ca va aller mon gamin, ça va aller, laisse-toi aller, tu vas aller cavaler avec nos ancêtres dans une prairie pleine de cerfs. Je suis là. Chaque mot m'a arraché la tronche et lacéré la gorge, mais je devais lui dire. Je me devais de lui dire.
— J'ai pas peur. Et je préfère les chevreuils.
— Je sais... Il n'a pas pu entendre ma réponse, je l'ai sentie, mais je l'ai dit quand même.

S'il reste un peu de magie dans ce monde de merde, j'ai envie de croire que oui, alors le vent lui portera ces derniers mots. Au moins il saura que j'ai confiance en lui, que je sais qu'il n'avait pas peur et qu'il aimait le chevreuil... Soulagement dérisoire on est bien d'accord, Myst n'est pas d'accord, je sais pourquoi. Nous sommes Alpha et Un Alpha connaît ce genre de chose, un point c'est tout.

La bonne blague. Ouais... La bonne blague.

On a continué d'avancer sans un mot encore un moment, les autres ont aussi senti que le jeunot est mort. Ils n'ont rien dit, ils ont continué d'avancer. Je serre un peu plus ses jambes contre moi, il ne tombera pas, je ne suis pas prés pour le merdier qui doit suivre, eux non plus.

Je ne regarde plus que mes pieds, comme tous les autres je commence à fatiguer sérieusement. Je ne sens pas les cons d'humains, on pourrait se poser un peu, ouais on pourrait. Mais non, il faut qu'on arrive et qu'on enterre le jeunot correctement. Au moins un... C'est franchement pitoyable, mais je m'y accroche j'en ai putain de besoin.

Mes pieds sont de plus ne plus lourd, j'ai aussi un mal de chien a regardé ou je vais. Il faut que je tienne, j'ai pas le choix de toute façon. Si je lâche, si j'abandonne je ne sais pas ce qu'on va devenir, puis c'est pas comme ci j'avais le choix de toute façon.

— Ho Putain, putainputainputAAAIIIIIIINNNNNNN !!! Chef !!!!!!

Ce con de français a hurlé si fort que j'ai sursauté et manqué de faire tomber le gamin. Quand je relève la tête près à lui prendre la tronche comme jamais je comprends pourquoi il a beuglé comme un sauvage. Devant moi je vois absolument tous mes loups le pif en l'aire en pleine séance de snif compulsif.

Ils le sentent enfin. Le début de la liberté est à portée de flair.

Je sens leur joie doper mes veines et je m'en gave, certains me regardent avec de l'admiration dans les yeux presque de la dévotion pour un ou deux. C'est con, mais j'adore ça. Je me sens un peu moins inutile, un peu plus Alpha. Je gagne aussi de leur confiance et ça, c'est une vraie récompense. Je comprends pourquoi les autres chefs disaient qu'on tombait plus accro de notre meute que le contraire. C'est incroyable. Totalement flippant, mais incroyable.

Je secoue ma tête de gauche à droite, pas le temps pour les bons sentiments, Myst est d'accord avec moi. Je souffle un bon coup pour revenir un peu sur terre.

— On se pose un peu et on ne s'arrête pas tant quand on y est pas ! Je beugle à mon tour. Toi et toi ! Vous faites le tour et chopez ce que vous pouvez.

Les deux loups en questions y vont sans rechigner, presque joyeusement.

Je me cale doucement contre le tronc d'un arbre, je ne veux pas trop m'appuyer dessus. Je ne veux pas faire mal au jeunot, ouais je sais c'est con.... Le français vient vers moi et je vois qu'il ne sait pas vraiment quoi faire et encore moins quoi dire.

— Tu prends deux gars et tu fais le tour s'il y a quoi que ce soit vous tuez.
— Compris, il regarde une petite seconde le visage du gosse et tourne les talons. J'ai senti sa tristesse pourrir son cœur, elle est si forte qu'elle en est dangereuse.
— Dave ! Je lui dis alors qu'il s'en allait d'un pas lourd. Il se tourne vers moi, son visage est tendu des traînées plus claires sont tracées sur ses joues pleines de crasse. Les stigmates de ses larmes. On le mettra en terre, là-bas. On le ferra correctement. Je termine en le regardant droit dans les yeux.

Il ne me répond pas, rien ne change vraiment même après ma promesse. Je m'y prends vraiment comme un manche... Je serre les dents et ravale une boule de dégoût en vers moi même.

— T'as vu ? J'suis même pas foutu de remonter le moral de mes loups... Je dis à mon alter ego en soufflant, je me la ferme, mais au fond de moi j'ai envie de me jeter d'une falaise... Myst me grogne dessus. J'comprends pas ce que tu veux me dire...

Pour ne pas changer, il ne dit rien, je sais qu'il ne le peut pas. Toujours pas assez fort, je sais, mais merde quand même.

Je me sens minable...

Les loups qui restent me regardent et attendent que je leur donne une tâche à accomplir. La bonne blague... Je dois leur dire quoi moi ?!

— On va déblayer un coin pour manger. J'ai à peine fini ma phrase qu'il s'y mettent déjà, en deux temps trois mouvements un petit coin était dégagé.

— Chef, m'interpelle un petit gars trapu au visage plein de cicatrices. J'peux aider hour vous asseoir ? Il a du mal à articuler, quand il parle je ne vois qu'un bout de sa langue et sa mâchoire prend un angle étrange. Il a été torturé.
— Ouais, soutiens le gamin une minute. Sans un mot il se place derrière moi et attrape le jeunot par-dessous ses bras. Je me retourne et le reprends dans mes bras, le froid gagne mon dos. Il se glace j'ai horreur de ça. Il veut dire trop de choses. Merci... Je ne termine pas ma phrase, je regarde le loup en face de moi.
— Yaps, j'm'ahelle Yaps et lui c'est Dixon. C'est mon housin.

Le dit Dixon me regarde et hoche la tête, ils ne se ressemblent pas du tout.

— Chef, reprend difficilement Yaps, on va y arriver hein ?
— On fera quoi après ? Demande son cousin, il a la voix plus grave et enrouée que Yaps.

Il me regarde, mais ne me fixe pas, il sait ou est sa place pourtant je sens le feu en lui. C'est le genre de loup qui peut quitter sa meute sur un coup de tête si cela ne lui convient pas.

— On va d'ja reprendre des forces et laisser nos alter ego revenir a nous. J'impose en le regardant.

Il hoche la tête, il semble satisfait. Tant mieux.

Ouais, voilà on va reprendre du poil de la bête et je rentrerais chez moi. Je n'obligerais personne à me suivre, quelque part j'espère même qu'ils resteront là-bas.

Moins de responsabilités, moins d'emmerdes. Myst me grogne dessus comme un sauvage, je l'ignore et pose enfin mon cul sur une souche. Je sens mon cœur battre dans mes pieds, je hais ça. Mes genoux craquent et mon dos me tire dans tous les sens.

J'suis tout pété.

J'installe au mieux le jeunot, c'est carrément glauque, mais c'est encore pire de l'abandonner. Je pose sa tête sur ce qu'il me reste de cuisse. Le reste de son corps et comme celui d'un gars qui se repose. Une illusion de normalité n'a jamais fait de mal après tout.

Les loups avec Dave reviennent et me disent qu'on est seul, ceux de la chasse reviennent avec quelques lapins et marcassins. Pas assez pour nous huit, on fera avec.

— On fait un feu ? Demande un loup qui était parti à la chasse.
— On est plus à ça près... Je réponds, après tout on ne fait que de muter depuis notre départ et ils peuvent nous repérer quand on le fait, alors pourquoi pas un peu après tout...
— Ils vont nous repérer rapidement ! intervient le français en enlevant la peau d'un animal mort avant d ele vider.
— Hi he fais des hendres, ça va ? Demande Yaps.

J'opine du chef et lève le nez, rien a signalé pour le moment.


La rage du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant