chapitre 20 ✅

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Je ne m'étais jamais senti aussi mal de toute ma vie.

J'avais imaginé ce moment bien assez souvent, mais c'était toujours avec Debbie. Pas avec Samy, que je connaissais à peine. J'étais tombé bien bas si j'en étais rendu là rien que pour faire chier Télio...

Nous étions arrivés au village avec un peu de retard. Samy marchait devant pendant que je serrai Bernadette contre moi en lui flattant la tête comme un doudou. Les enfants sur notre chemin se précipitèrent vers moi en me voyant avec un animal, mais s'enfuirent en courant en réalisant que c'était une chauvesouris. Ce qui réussit à me rendre encore plus de mauvaise humeur.

— Viens, « Télio » (Samy fit les guillemets avec les doigts), je vais te montrer ce que tu attendais depuis si longtemps.

Je n'avais aucune idée de ce dont elle parlait, mais je la suivis tout de même, l'esprit ailleurs. Elle m'entraina dans sa vieille maison de bois pourrie et me fit traverser l'entrée jusqu'à sa chambre. Je restai près de la porte, appréhendant la raison du pourquoi elle voulait me « montrer » quelque chose, dans sa chambre. Mais mes craintes s'envolèrent quand elle se pencha en dessous du lit et en ressortit un ordinateur portable. Elle le déposa sur le lit avec une liasse de papier et une clé USB.

— C'est vraiment un ordinateur ? m'étonnai-je en m'approchant. Et il fonctionne ? Où t'as trouvé ça ?!

— C'est pas moi qui l'ai trouvé, c'est Télio, dit Samy en pouffant de rire. Comme tout le reste. Et oui, il fonctionne. Ou disons plutôt, il fonctionnait. Je n'ai rien pour le recharger. Mais j'ai tout de même eu le temps de recopier une bonne partie de son contenu.

Samy me présenta l'USB et je réalisai sur le coup que c'était certainement celle que Télio avait volée chez le roi. Je l'avais totalement oublié, ne pensant plus qu'au sac de nourriture qu'il avait avec lui à ce moment-là.

Tenant toujours Bernadette d'une main contre moi, je pris la clé et la mis dans la poche de mon jogging sous le regard ennuyé de Samy.

— Ça appartient au roi et je vais le lui rendre, expliquai-je.

— Fais comme tu veux, soupira-t-elle. Trouver un ordinateur avec de la batterie, c'était déjà assez de chance pour toute une vie. Même Télio ne saura pas en dégoter d'autre avant un bon bout de temps, alors, la clé ne me sert à rien.

— Je n'attendais pas ton approbation.

Samy soupira et haussa les épaules, puis se laissa tomber contre ses oreillers en prenant les papiers. Elle commença à les lire à toute vitesse pendant que je m'installais à une extrémité du lit. Bernadette s'envola pour aller se suspendre aux poignées de l'armoire à vêtements, dans un coin de la pièce. Je la regardais enrouler ses ailes étroitement autour de son corps et fermer les yeux, ouvrant grand la gueule dans un bâillement muet. La pauvre, elle n'avait certainement pas l'habitude de rester éveillée le jour, mais ce n'était pas ma faute si elle me suivait partout.

— Bon, voilà tout ce que j'ai pu retirer comme information, dit Samy en me tendant les papiers.

— Pourquoi tu me donnes ça ? Ce n'est pas à Télio que tu devais les montrer ?

— Chut ! dit-elle aussitôt, un doigt sur la bouche et le regard amusé. Tu es Télio. Et tu voulais savoir ce qui se cachait là-dedans.

Je levai les yeux au ciel, mais pris enfin la liasse. Il y avait trois pages bourrés d'une écriture minuscule et difficilement lisible. Je me penchai sur la première pour déchiffrer les informations pendant que Samy se faisait une queue de cheval avec ses longs cheveux ébouriffés.

Sur la première, il y avait comme titre le mot « espion ». Plus bas, pour simple description ; « petit, rapide, inaperçu ». Et enfin, sur chaque ligne, une liste d'animaux correspondant au critère. Sur la deuxième page, « voleur » était inscrit en gros, et « dois posséder des mains » en dessous. Cette fois, la liste était beaucoup plus courte, ne citant que quelques espèces de singe, mais aussi des oiseaux - pour leurs serres, peut-être. Après tout, Télio avait bien prouvé qu'un hibou savait être un bon voleur.

Et enfin, sur la troisième page, le mot « soldat » accompagnait une description des plus logiques : « les plus forts et les plus rapides », ce qui représentait bien les quelques animaux présents ; ours, jaguar, éléphant, hippopotame...

— D'accord, dis-je finalement en rendant les papiers à Samy. Le propriétaire de cette clé avait apparemment dans l'intention de s'ouvrir un zoo, et de classer les animaux d'une façon bien particulière. Qui irait mettre les ours et les éléphants dans le même coin ?

— C'est tout ce que j'ai eu le temps de copier, mais il y avait bien une trentaine de pages. Je sais que ce n'était pas seulement des listes comme ça, mais je n'ai pas pu voir ce que c'était. Mais je suis tout de même assez sûre que ce n'était pas pour faire un zoo. J'ai regardé en quelle année avait été créé ce dossier ; c'était en 2041. La guerre avait commencé. Qui irait se faire des plans d'avenir en un temps pareil ?

— Pour redonner espoir aux gens ? dis-je dans un haussement d'épaules.

— J'aurais opté pour un parc d'attractions, moi. Non, je crois plutôt que c'était pour la guerre.

— On peut parler d'autre chose ? Ce sujet me met mal à l'aise...

— Mais non, Télio... je veux dire, Miö. Je pense que Télio et toi, vous êtes concernés. Déjà, le fait que Télio est un véritable kleptomane, et que « hibou » est écrit sous la colonne de voleur.

Elle pointa le mot sur la page en question.

Mon ennui s'envola d'un coup quand je réalisai que c'était une drôle de coïncidence. Je me penchai sur le papier pour bien voir le nom de l'animal, troisième sur la liste, sous chimpanzé et raton laveur.

— Alors qu'est-ce que ça signifie ? dis-je en observant plus attentivement les deux autres listes. Si je suis rapide... je ne pourrais pas être un voleur, puisque je n'ai pas de mains ni de serres... je n'ai que des petites pattes et des griffes.

Samy pointa un point sur la première feuille et mon regard tomba aussitôt sur ce que j'avais raté en ne faisant que les survoler un peu plus tôt. « Chauvesouris ».

— Un espion, dit-elle en plantant les yeux droits dans les miens. Je suis certaine que tu ferais un très bon espion.

Je secouai la tête, à court de mots. Mais il fallait tout de même avouer qu'elle avait raison. J'étais assez petit pour me cacher n'importe où, et j'avais une ouïe assez forte pour écouter n'importe quelle conversation.

— Je n'ai jamais ressenti le besoin d'espionner qui que ce soit, dis-je au bout d'un moment. Je suis assez curieux, mais pas à ce point-là.

— Peut-être, mais si t'avais à le faire, tu le ferais bien, dit Samy en hochant la tête.

— Mais qu'est-ce que ça veut dire, enfin ? Notre mère... ou celle de Télio, plutôt, elle ne peut tout de même pas avoir un rapport là-dedans ? Télio est né tel qu'il est... non ?

— Quoi ? dit Samy dans un rire nerveux. « Notre mère... » ? Tu es en train d'insinuer que Télio et toi, vous êtes jumeaux ? Oh, c'est vrai, maintenant, je me souviens. C'est ce qu'il avait dit, quand on allait aux chutes... Tu devrais bien t'en être rendu compte, depuis le temps ; il ment constamment ! Sa « mère » n'est pas vraiment sa génitrice, tu sais. C'est juste la femme qui l'a trouvé, et qui l'a adopté alors que ce n'était qu'un enfant.

— Quoi ? dis-je à mon tour. Adopté ? Lui aussi ?

— On suppose qu'il avait cinq ans, à l'époque, vu sa taille. Elle l'aurait trouvé dans une ferme.

Exactement comme moi.

— Oh mon dieu... murmurai-je lentement, pensif. Je crois qu'on vient de mettre le doigt sur quelque chose d'important. Tu sais où elle est ?

— Très loin d'ici, vers le sud. Ça va nous prendre au moins deux heures de marche. Et à faire l'aller-retour... il vaut mieux attendre demain. Si tu tiens vraiment à y aller.

— Samy, dis-je en me penchant légèrement vers elle, j'ai patienté toute ma vie rien que pour retrouver cette ferme.

Miö (En Réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant