Chapitre 55 ✅

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Télio
Plus tôt dans la soirée...

J'avais continué d'avancer pour faire bonne mesure. Miö était toujours visible au loin, s'éloignant en direction de sa chère cité. Même s'il ne regardait pas dans ma direction, je savais que son ouïe était plus développée que la mienne, ce qui n'était pas peu dire. Même arrivé en ville, à une dizaine de kilomètres, il sera certainement en mesure d'entendre mon hésitation. Mes pas plus lents, les battements de mon cœur plus rapide.

Oui, j'avais atrocement hâte de retourner chez moi. Vérifier que tout le monde aille bien. Car ils doivent aller bien. Mais je savais que je me trompais. Forcément, il y avait eu des blessés. Et forcément ; encore plus de morts. Et c'était ça qui me faisait peur.

Ma mère ? Ma tante ? Samy ? Tous les autres ? Va savoir qui était toujours en vie, et qui ne l'était plus... par ma faute.

Vas-y, Télio, pensai-je. Je ne peux pas rester là, au milieu de nulle part, indéfiniment. Il faudra bien que j'y aille.

Je regardai une dernière fois vers Miö ; il était si loin déjà qu'il n'était plus qu'une tache floue. Il ne semblait pas s'inquiéter pour moi ; il n'avait pas la moindre idée de ce que je ressentais. Ou si, justement, mais il s'en fichait.

C'est de ta faute, dirait-il dans un haussement d'épaules. T'avais qu'à y réfléchir avant de faire un meurtre.

Je secouai la tête, m'interdisant de penser encore et toujours à ce que je risquerai de trouver. Je traversai la rivière devant moi en trois battements d'ailes, repris pied de l'autre côté en grognant et plaquant mon poing contre ma hanche, attendis quelques secondes que la douleur passe, puis m'avançai courageusement vers mon chez-moi.

D'où j'étais, le niveau de la terre était plus bas qu'au centre du village, qui fait qu'en regardant dans cette direction, je n'apercevais que le toit des maisons. Je voyais aussi une trainée de fumée grise bien droite qui montait vers le ciel et une légère odeur de barbecue qui s'y mêlait. Pendant un instant, mon ventre se mit à gronder sauvagement, songeant au festin qui m'attendait. Mais plus j'avançai, plus j'avais une idée bien différente sur ce qui était en train de se passer. Et ce fut confirmé en arrivant enfin au village, sur terrain plat. Dans un grand champ, de l'autre côté de la route que l'enclos des vaches, tous les habitants étaient rassemblés. Je fus soulagé d'y voir ma petite famille et mes quelques amis - disons simplement les rares qui parvenaient à m'endurer - parmi eux. Sauf qu'ils étaient tous là pour honorer les morts.

Les villageois étaient tous regroupés en demi-cercle devant les défunts, tous enroulés dans des draps blanc et étendu sur un lit de branches et de feuilles. D'où j'étais, j'apercevais trois morts, le reste m'étant caché par la foule. Deux d'entre eux avaient déjà été incinérés.

Il n'y avait pas de prêtre à proprement parler, nous n'avions même pas d'église. Mais quand il fallait quelqu'un pour parler au nom de Dieu, c'était toujours le père de Samy. Je ne fus donc pas étonné de le voir, une bible serrée contre la poitrine, à faire les prières. Quand il lisait quelques lignes de son livre, il le tenait légèrement à sa droite, compensant du fait qu'il était borgne de son œil gauche.

En arrivant près de la foule, je remarquai ma tante qui pleurait doucement. J'avais moi-même de plus en plus de difficulté à me retenir, sans même avoir pris conscience de qui était mort.

Je mis ma main sur l'épaule de Shell. Elle sursauta, puis passa son bras autour de moi, me serrant contre elle. Elle posa sa tête sur mon épaule et laissa aller ses larmes, pendant que le père de Samy continuait d'honorer les défunts une dernière fois.

Miö (En Réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant