Chapitre 46 ✅

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En à peine une minute, nous avions dépassé le mur de la ville et continuâmes vers le nord, une direction que je n'avais jamais pris, le village de Télio étant à l'opposé. L'urgence du moment avait été de s'éloigner ; la vraie destination viendra plus tard.

Télio se mit à perdre de l'altitude ; sans battre des ailes, il se laissa planer doucement vers la forêt, en dessous de nous, jusqu'au milieu de nulle part, entre les arbres à perte de vue. Il se transforma sans même attendre de toucher le sol, et j'atterris à deux mètres de lui.

— Pourquoi tu m'as suivi ? demanda Télio, me tournant le dos. T'aurais pu rester là-bas ; les gardes se sont bien rendu compte que c'était moi, le... meurtrier. (Il avait dit le mot comme on cracherait un fruit moisi.) Et t'as plus à craindre de devoir reprendre les opérations, maintenant. C'était fait sous les ordres du roi ; Remi ne te forcera à rien. À priori...

— Je t'ai suivi parce que je veux savoir ce qui t'a pris. Enfin, Télio, tu peux pas tuer quelqu'un sur un coup de tête ! Est-ce que tu te rends seulement compte de ce que tu as fait ?!

— Il le méritait ! dit Télio en se retournant vers moi, plantant son regard vert dans les miens. C'est lui qui...

Il poussa un long soupir, sans terminer sa phrase. Il baissa les yeux, puis me tourna à nouveau le dos. Il se dirigea vers un grand arbre près de lui et s'assit sur une branche basse.

— C'est lui qui avait ordonné tes opérations, dit-il enfin.

— Ça, j'en suis conscient. C'était horrible, je suis bien placé pour le savoir. Mais ce n'était pas pour ça que tu l'as tué.

Télio baissa la tête, les yeux fixés sur ses doigts qu'il entortillait nerveusement.

— D'accord. Je vais parler. Et promis, cette fois, pas de mensonge. Mais... il vaudrait mieux que tu t'assoies.

J'obéis aussitôt, me laissant tomber au sol, jambes croisées. Je n'avais jamais vu Télio ainsi, et cette fois, j'en avais la conviction ; s'il mentait encore, avec le ton qu'il avait employé, il serait bon à être pendu.

J'attendis patiemment les explications, pendant que Télio cherchait ses mots. Clairement, il aurait préféré me raconter n'importe quoi, plutôt que ce qui allait venir. Nerveux, Télio se mit à jouer avec la fermeture éclair de sa combinaison. Enfin, il descendit la fermeture, me présentant son torse nu. Il se pencha légèrement de côté pour me montrer une tache de naissance sur sa hanche.

— T'as la même que moi, pas vrai ? dit-il.

— Ouais, avouai-je, étonné de ce que je voyais.

Télio leva ensuite le bras droit, me laissant apercevoir, un peu plus haut que le coude, une autre tache plus petite.

— Celle-ci aussi ?

— Oui, dis-je, commençant à ressentir un peu d'angoisse.

— Dans le cou, dit-il en relevant une mèche de cheveux.

— Explique-moi, m'énervai-je. Des jumeaux ne peuvent pas être identiques à ce point.

— C'est parce qu'on n'est pas jumeau ! (Il baissa à nouveau les yeux, pendant qu'il enfilait les manches de sa combie avant de remonter la fermeture éclair.) Ni triplet. Ni quadruplet... ni... tout ce qui suit.

La réponse commençait déjà à apparaitre d'elle-même dans ma tête, une seconde avant que Télio ne le dise. Il regarda nerveusement autour de nous, comme s'il avait peur que des animaux nous entendent.

— Nous sommes des clones, dit-il enfin. C'est le vieux qui m'a tout raconté. Je suis désolé, ajouta-t-il aussitôt, mais je déteste cette idée. C'est en train de me pourrir le cerveau. Je voulais pas que tu l'apprennes parce que je savais que t'en penserais la même chose. C'est une information complètement inutile, elle ne sert à rien d'autre qu'à aider à me dégouter. Après tout, j'avais déjà de très bonnes raisons de me détester, mais ça, c'était la goutte d'eau qui fait déborder le vase, tu vois ? C'est un peu comme... un cyclone. Dans mon cerveau. Depuis cette journée-là, où on est allé chez le vieux, et qu'il m'a dit ça, c'est vraiment l'impression que j'ai. C'est atroce.

Miö (En Réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant