Le lendemain, quand je trouvai enfin le courage de sortir de mon lit, il était une heure de l'après-midi et je n'avais pas fermé l'œil une seule seconde de la nuit. J'avais passé la nuit à revoir Arthur mourir, voir Frodo se faire arracher le bras, Léo enfoncer un couteau dans la poitrine de Télio. Encore, et encore, et encore.
Je me levai du lit, chancelant un peu sur mes jambes tellement j'étais fatigué, puis sorti de ma chambre sans prendre la peine de mettre autre chose qu'un pyjama. Nu pied sur le carrelage froid, produisant un petit clap, clap à chaque pas. Bernadette m'avait rejoint pendant la nuit par la fenêtre ouverte, s'était blottie contre mon épaule et n'avait toujours pas bougé depuis. Quand je tournai la tête à droite, je sentais sa fourrure ou ses ailes me chatouiller le cou.
Arrivé à la salle à manger, il n'y avait personne. Je tournai les talons pour aller plutôt à la cuisine. Malgré tous mes soucis, j'étais affamé. Je ne me souvenais même pas avoir mangé quelque chose, hier.
À la cuisine, cependant, il y avait bien quelqu'un. C'était Albert, si je crois bien, la tête penchée dans le frigo. Il leva la tête pour voir qui était là, mais baissa à nouveau les yeux en me reconnaissant.
- Salut, dit-il en se remettant à fouiller dans le frigo.
Je répondis d'un petit marmonnement, pigeant une pomme dans la corbeille de fruits.
- Où sont les gardes ? demandai-je en mordant dans le fruit.
- Ils font leurs jobs. Parait qu'il y a une foule devant la clôture et qu'ils veulent tous nous tuer.
Je hochai la tête. Albert trouva un bol qu'il mit sur le comptoir devant lui, contenant des restants de poulet. Il semblait tout autant désintéressé par une foule venue nous tuer que par un pet de mouche.
- Tom essaie – encore – de leur faire entendre raison. Ça a pas l'air de marcher, ça fait des heures que ça dure.
- Et les autres, ils sont où ?
- Dans la chambre de Simmer, généralement. Math est avec eux. D'autres sont encore cachés dans leur chambre. Oh, et puis Tom m'a dit de faire le message tout à l'heure, avant qu'il parte en guerre contre le peuple. Remi va passer aujourd'hui, probablement en soirée, pour te retirer la puce. À toi, Léo et Riley. Il peut pas passer plus tôt parce qu'il y a eu beaucoup de blessés, après le passage de Frodo.
Je hochai à nouveau la tête. Je ne savais pas quoi répondre, quelle réaction adopter. J'avais l'impression que tout ce que je pourrais dire ou faire m'attirerait des regards de travers.
Et ce fut exactement ce que je récoltai de la part d'Albert. Un petit regard en coin, avant de gouter un morceau de poulet, hocher vaguement la tête, retirer complètement le plastique qui recouvrait le bol et fermer la porte du frigo derrière lui.
- Sinon, tu le prends bien ?
- Le prendre bien... ? répétai-je, incertain. La mort de deux clones et d'une vingtaine de citadins ? Oh, mais oui, c'était presque rien, dis-je avec un mouvement de main insignifiant et d'un air dédaigneux.
- C'est pas ce que je voulais dire...
- Bah dit rien, je peux déjà voir que t'es pas très bon pour remonter le moral.
Une nouvelle bouchée de pomme et je tournai les talons pour retourner à ma chambre, énervé. Albert me rattrapa dans le corridor en quelques pas de course, une main sur mon épaule. Bernadette battit des ailes et claqua des mâchoires, et Albert retira vivement sa main en reculant d'un pas.
- Écoute, Miö, on est tous dans le même bateau. Ça sert à rien de faire ton solitaire.
Je détournai les yeux, flattant Bernadette pour la calmer. Elle détendit ses ailes, mais continuait toujours de fixer Albert d'un œil gourmand. À croire que ma petite chauvesouris de dix centimètres se prenait pour mon chien de garde.
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Miö (En Réécriture)
Science FictionMiö est tout sauf normal, et il en a que trop conscience. Trouvé par hasard dans une grange abandonnée à l'âge de cinq ans et à moitié mort de faim, Miö fut le sujet de test et d'expérience jusqu'à ces quinze ans. Mais pour lui, c'était carrément de...