Chapitre 31 ✅

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Je me réveillai en sursaut, secoué de tremblements incontrôlables.

Je regardai nerveusement autour de moi. J'étais étendu à même le sol, sur la terre et quelques brins d'herbe, au milieu de nulle part. À environ un mètre de moi, il y avait un feu, ou plutôt ce qu'il en restait ; des braises, quelques flammes minuscules. De l'autre côté, je voyais la silhouette de Télio qui dormait, la tête appuyée sur un bras et me tournant le dos.

Je passai une main sur mon visage, essuyant la sueur qui m'inondait. Mes cheveux étaient aussi trempés que si j'étais encore tombé dans la rivière.

— Télio, murmurai-je, la voix rauque.

Je toussai à plusieurs reprises dans mon coude, puis l'appelai à nouveau. Au troisième essaie, Télio se retourna vers moi.

— Miö ? dit-il en s'asseyant droit. Enfin, il doit être... au moins trois heures du matin. Il était temps que tu reprennes forme humaine, je commençai à croire que tu serais coincé en chauvesouris pour toujours !

J'acquiesçai lentement, les yeux rivés sur mes genoux.

— Je le croyais aussi.

Télio inclina la tête, sans rien dire. Il attendait la suite.

— J'étais conscient. Du moins, en parti. Je me suis réveillé quand j'étais dans tes bras et que tu courrais. Tu voulais que je m'envole, mais je ne le faisais pas... J'entendais ce que tu disais. Mais pas complètement... c'est difficile à expliquer...

— C'est difficile à comprendre, aussi.

— C'était comme si je ne connaissais pas les mots que tu utilisais. À croire que je n'étais plus assez intelligent pour le comprendre. Un peu comme si mon cerveau avait totalement disparu et qu'il avait été remplacé par celui d'une simple chauvesouris. Je ne parvenais plus à penser, seulement à ressentir. Et encore là, c'était limité. Ce n'était plus que les besoins primaires ; j'ai faim, j'ai soif... Rien d'autre n'arrivait à passer mon esprit. Même, je crois que si tu m'avais laissé à terre et que tu étais parti, je ne t'aurais pas suivie. Je n'aurais pas compris que j'étais censé le faire.

Télio demeura muet, à la fois impressionné et troublé. Il ne savait plus quoi penser de moi.

— Maintenant que t'es réveillé, on peut retourner à mon village, dit-il enfin après quelques longues minutes de silence. Tu pourras dormir dans mon lit chez Shell et j'irais... heum, je peux plus aller chez Samy, moi... Bah, je prendrais le canapé.

Je secouai lentement la tête, baissant les yeux.

— Je suis trop épuisé pour voler. Je préfère encore rester ici.

C'était la vérité. J'avais rarement ressenti un tel niveau de fatigue, et la seule idée de me lever me répugnais. Mais ce n'était pas la raison première de mon refus. En réalité, j'avais peur de me transformer et d'être encore une fois coincé dans le cerveau minuscule d'une chauvesouris.

— Mais tu peux partir, t'as pas à me couver.

— Je vais rester, dit Télio dans un mouvement d'épaule. Pour une fois que t'as l'air de réellement me prendre pour un ami, je vais sauter sur l'occasion. De toute façon, c'est pas la première fois que je dors à la belle étoile, et j'en sais certainement plus que toi sur la survie au grand air.

Il avait raison là-dessus. En dehors de ces dernières semaines, je n'étais jamais sorti de Digora. Du moins, jamais plus loin que la forêt, et je ne faisais que la survoler. J'aurais tout de même préféré qu'il parte ; j'avais envie d'être seul. Réfléchir à ce qui m'était arrivé.

— Encore une chose avant de m'endormir à nouveau... Je veux savoir ce que tu as appris chez le vieux.

— Oh, tout plein de trucs, dit Télio d'un air sombre.

— Comme quoi ?

Télio garda le silence. Qu'avait-il appris qui le mettait dans cet état ?

— Allez, je veux le savoir aujourd'hui.

— Il est trois heures du matin, je peux encore prendre tout mon temps.

Télio inspira longuement, avant de se lancer :

— On n'est pas jumeau... (il grimaça, avant de continuer :) On est triplet. Le troisième s'appelle Riley. Et le vieux est notre père biologique. Notre mère est morte il y a vingt... heu, quinze ans. En accouchant de nous.

— Triplet... J'en avais fait une blague à Debbie... elle va paniquer quand je vais lui dire que j'avais raison. Et ce Riley, il peut se transformer, lui aussi ?

— Surement, je sais pas en quoi.

— C'était peut-être le chat ! Ou le cheval...

Télio haussa les épaules, les yeux braqués sur les braises du feu entre nous deux.

— Mais le vieux est pas un peu trop vieux pour avoir des enfants ?

— Faut croire que ses couilles n'étaient pas prêtes pour la retraite. Elles ont bien créé trois roux en même temps, c'est pas rien !

— Mouais, dis-je dans un rire. C'est pas faux.

Télio sourit timidement, sans jamais relever les yeux vers moi. Je repris mon sérieux, intrigué. Je ne connaissais Télio que depuis une semaine, mais je savais déjà qu'il était du genre à rire facilement.

— Tu vas bien ?

— Hm ? Oh, ouais, je suis juste vraiment fatigué. J'ai pas l'habitude de veiller.

— Moi non plus. Eh bien, bonne nuit... attends, une dernière chose ! Puisque tu mens au moins une fois aux trois phrases, je suis sûr que t'as menti quelque part. Je veux savoir c'est quoi.

Télio fronça les sourcils en inclinant la tête, à la fois insulté et intrigué.

— Et si je te dis que tout est vrai ?

— Je te crois pas.

— Mais j'ai pas menti !

Je gardai le silence en le regardant droit dans les yeux d'un air provocant. Télio releva le défi pendant dix secondes, avant de craquer en hurlant :

— C'est la vérité, Miö ! Je sais que je suis un grand mytho, un débile, un cinglé, tout ce que tu voudras, mais j'ai menti nulle part ! Je t'ai révélé tout ce que j'ai apprit sur le vieux. Il t'a attaqué parce qu'il pensait que tu avais essayé de le tuer quand tu avais tes doigts sur son cou. Mais moi, il ne m'a rien fait, parce qu'il croyait que j'étais ce Riley. Et Riley doit être encore plus débile que moi et qu'il oublie toujours tout, parce qu'il n'était pas étonné plus que ça de mes questions. Mais c'est ce qu'il m'a répondu. Nous sommes triplet. Et c'est tout ! Y'as rien de plus et rien de moins à savoir.

À force de parler, le visage de Télio était devenu bien rouge. Il resta là quelques secondes de plus à me défier du regard, me défiant de lui dire qu'il mentait encore, puis se coucha à nouveau, me tournant le dos.

— Excuse-moi, Télio, soupirai-je. C'est l'habitude.

— Je sais bien que je mens tout le temps. Mais pas cette fois. Tu peux me faire confiance. Et tu peux aussi me laisser dormir.

Je ne répondis rien, à court de mots. Finalement, je me couchai à mon tour sur le dos, regardant les étoiles loin au-dessus de ma tête.

— Tu connais l'histoire de la petite fille qui criait au loup ?

— Non.

— Tu devrais te renseigner.

Miö (En Réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant