Chapitre 32 ✅

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Au matin, Télio et moi revînmes à son village, qui n'était pas très loin de notre campement. J'avais pris mon courage à deux mains pour m'envoler, mais il se trouvait que ma peur était injustifiée. J'avais beau avoir le corps d'une chauvesouris, j'avais encore mon cerveau à moi, et j'en étais grandement soulagé.

À peine arrivé, Télio continua son chemin à grands pas, comme s'il voulait éviter que je le suive. Je haussai les épaules, n'essayant même pas de le comprendre, et allai chez Samy où il y avait des vêtements à moi et, surtout, la clé USB que je devais toujours rendre au roi.

Je cognai trois coups à la porte de sa maison. Aussitôt fait, elle s'ouvrit à la volée et une main fusa devant mon champ de vision pour terminer sa course sur ma joue. Je restai immobile, étonné de la gifle que je venais de me prendre, et battis des cils pour focaliser mon regard sur Samy. Elle était bien campée sur ses pieds, les poings serrés et montrant les dents comme un chien enragé.

— T'as vraiment du culot de revenir ici, comme si j'allais te pardonner ! hurla-t-elle en me pointant d'un doigt menaçant. Tu n'es qu'un...

— Je suis Miö.

Samy s'interrompit, abaissant lentement son doigt.

— Oh, dit-elle simplement. Désolé.

— Je veux juste mes trucs.

Samy hocha la tête, les yeux au sol, puis se retourna pour aller chercher mes vêtements. Je la suivis jusqu'à sa chambre. C'était une grande et belle maison, si on ne comptait pas le fait qu'elle était totalement délabrée. Des trous dans les murs, la peinture écaillée, les meubles usés dans les coins. Enfin, il fallait un peu d'imagination pour trouver ce qui était beau.

Arrivée à sa chambre, Samy ouvrit un tiroir et en sortit tout ce qu'il contenait. Je m'habillai de mon jogging et mon sweat, des vêtements un peu trop chauds pour la température d'aujourd'hui, mais je n'avais pas vraiment le choix si je voulais les ramener chez moi. Je m'assis sur le lit pour enfiler mes souliers, puis tâtai mes poches pour vérifier que la clé USB y était.

— Je pourrais avoir la feuille où tu as retranscrit ce qu'il y avait dedans ?

Sans rien dire, Samy me tendit le papier, à cinq centimètres devant mon visage. Je le pris sans faire de commentaires, puis me levai et allai à la porte, avant de me retourner vers elle.

— Je suis désolé, Samy.

— Pour quoi ? s'étonna-t-elle.

Je haussai les épaules, pensant aux fois où je n'avais pas été aussi gentil que j'aurais pu l'être avec elle. Mais je me souvins ensuite que cette fille avait enduré Télio pendant je ne sais combien d'années ; elle ne s'était surement même pas rendu compte de mon impolitesse, comparée à celle de Télio. Et en fin de compte, elle-même n'était pas particulièrement douce avec moi.

— Laisse tomber.

J'allai vers la sortie. Je passai devant les parents de Samy, sa mère et son père assis au salon en jouant une partie de cartes sans faire attention à moi.

— Miö, dit Samy derrière moi. Moi aussi, je suis désolé.

Je me retournai encore une fois vers elle, tout autant étonné qu'elle l'avait été un peu plus tôt.

— Eh bien, merci, dis-je dans un petit rire.

— Tu sais ce qu'on dit... on taquine ceux qu'on aime.

— Non, dis-je aussitôt. Non, ne recommence pas avec ça. Il faut que j'y aille.

Je continuai mon chemin vers la sortie, mais je sentis la main de Samy s'agripper à la manche de mon sweat pour me retenir.

— Lâche-moi, m'énervai-je.

Sans se laisser décourager, Samy me tira vers elle m'embrassa, alors que ses doigts tentaient de se faufiler sous mon jogging. Je l'attrapai par les poignets et la plaquai contre le mur, et Samy poussa un petit gémissement en se cognant la tête un peu trop fort.

— T'es qu'une foutue salope ! m'énervai-je.

Samy ne dit rien, les larmes aux yeux. Je lui tournai le dos pour de bon et sortis de la maison en furie.

Et dire que le tout s'était passé alors que ses parents étaient juste à côté !

Je continuai mon chemin dans le village en direction du nord, vers Digora, les poings enfoncés dans les poches. Si je ne m'étais pas retenu, je crois bien que je l'aurai frappé ! Non, mais au point où j'en étais, on pouvait carrément parler de viol !

Je poussai un long soupir, essayant de me calmer. Dans le fond, Samy était juste une fille en manque d'amour. Et un peu folle sur les bords. En plus, j'avais la même tête que son petit ami - ou plutôt son ex -, alors ça ne devait certainement pas aider les choses.

De toute façon, j'avais déjà mes problèmes personnels et je n'avais pas envie d'y ajouter ceux de Samy à la liste. Il me fallait encore comprendre ce qui m'était arrivé hier...

Télio m'avait expliqué ; le vieux m'avait injecté une sorte de produit qui avait provoqué ma transformation, ce qui m'avait aussi, du même coup, empêché de redevenir humain. C'était logique - j'avais bien cherché un mensonge là-dedans, je n'en avais pas trouvé. Mais ce qui me perturbait, surtout, était que mon cerveau n'avait pas été épargné. Sous l'effet de ce produit, je n'étais plus moi-même. J'en avais des frissons rien qu'à y repenser.

Mais il y avait une deuxième chose qui me troublait, ce qui ne concordait pas. Peut-être que Télio n'y avait simplement pas songé, mais il était également possible que ce fût l'indice d'un mensonge, malgré qu'il m'eût pratiquement crié dessus sous l'accusation ; d'où venait ce produit ?

Le vieux ne l'avait certainement pas trouvé comme ça, trainant sur son balcon. Quelqu'un avait dû le fabriquer, et je pariais sur lui, le vieux. Et s'il avait créé quelque chose qui provoquait les transformations... est-ce que ce serait justement sa faute si je parvenais à me transformer en chauvesouris, et Télio en hibou ? L'idée que cette femme, notre « mère » ait simplement accouché de nous et que, boums, tous ses fils arrivent à se métamorphoser, me semblait un peu... tirer par les cheveux. Même totalement impossible.

Je m'arrêtai après quelques minutes de marche, étonné par ce que ma super-ouïe captait. Je regardai longuement autour de moi ; des adultes se promenaient entre les maisons, des enfants jouaient dans la rue. Personne ne faisait vraiment attention à moi, et tous avaient l'air quand même assez de bonne humeur. Et pourtant, j'entendais clairement quelqu'un pleurer. Ça venait de trop loin pour que je puisse voir de qui il s'agissait.

Je pensai d'abord à Samy et un nœud me tordit l'estomac, sachant que c'était certainement ma faute. Mais je me rendis compte assez tôt que c'était une voix de garçon. Je concentrai mon regard sur les enfants qui jouaient au foot dans la rue. Ce n'était aucun d'entre eux.

Sans trop comprendre, j'abandonnai la recherche et continuai mon chemin. Mais arrivé près du champ de vache, je m'arrêtai à nouveau ; les pleurs se faisaient plus fort par ici, et je reconnus la voix comme étant celle de Télio.

Intrigué, je me laissai guider par le bruit jusqu'à une maison tout aussi laide que les autres. Je m'approchai discrètement d'une fenêtre et le vis aussitôt ; je ne percevais de lui que son dos, mais ses cheveux roux et sa combinaison noire ne pouvaient pas me tromper. Une femme que je ne connaissais pas était assise en face de lui, alors que Télio avait le visage enfoncé dans ses mains et que ses épaules tressautaient sous les hoquets.

J'avais déjà vu Télio pleurer de douleur. Mais là, à ce que j'en sais, il n'avait aucune blessure qui justifiait de se laisser aller à ce point. Alors, qu'est-ce qu'il peut bien avoir pour pleurer comme ça ? On s'était quittés il y avait à peine une dizaine de minutes.

Je secouai la tête, troublé, puis continuai mon chemin. Je préférais encore essayer de l'oublier.

Comment étais-je censé lui donner le rôle du méchant de l'histoire, après l'avoir vu dans un tel état ?

Abandonnant la marche, je me mis à courir vers la cité. Si je n'avais pas trop perdu le compte, nous étions vendredi, jours de course, et j'étais justement en retard. Aussi bien me rattraper.

Miö (En Réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant