Prologue:

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J'ai vécu la prostitution pendant 10 ans et je m'en suis sortie il y a 10 ans. Même si j'ai réussi à être un femme plus ou moins remarquable, je serais à jamais marqué par cette expérience indélébile. À seulement 36 ans, j'ai vécu plus de chose qu'en ont vécu des personnes de 60 ans. Si j'ai enfin décidé d'écrire et de partager mon parcours c'est pour sortir de la honte dans laquelle j'étais enfermée depuis plus de 12 ans. Pourquoi ? Parce que tout simplement j'ai eu peur, parce que j'ai été rejetée, traitée de sale traînée, de dévergondée, de moins que rien, de femme facile et surtout de pute venant de ces gens qui prônent le choix, la liberté, et qui ne remettent rien en cause.

Je suis effondrée par les réactions que j'entends dans le débat d'aujourd'hui. Pourquoi tant de complaisance et de fantasmes quand la réalité est si crue, si violente? La prostitution, je l'ai vécu comme une suite de viols plus ou moins consentant, en me demandant comment tous ces hommes pouvaient défiler les uns des autres sur moi sans se poser de question sans se demander pourquoi.

En effet pas un seul ne s'est inquiété de ma détresse tant que mon corps est à leurs désirs, ils s'en foutaient du reste car pour eux s'ils payent, c'est pour acheter le droit de ne se soucier que d'eux-mêmes.

Pourtant j'étais mineure!

J'avais 15ans quand j'ai fait mon premier avortement, j'étais déglinguée, et pas un n'a manifesté le moindre intérêt pour moi. Je suis une "pute", donc je suis là pour ça se disaient ils sûrement. Mais je dois l'avouer même si j'étais tombée sur un client bienveillant, même si j'étais tombé sur un gars bien, j'aurais menti, comme on le fait toutes d'ailleurs: "je suis majeure, tout va bien, c'est moi qui l'ai choisi ce métier''.
Il faut absolument leur faire croire qu'on aime ça, ne serait-ce que pour tenter de repousser leur violence, qui peut surgir à tout moment.
Les clients aiment bien dire que dans la prostitution, tout est clair il y a pas de dessous mais ce n'est qu'une imposture. Il n'y a que de la tromperie, que du mensonge enfin pas pour tous les prostituées mais pour la majeure partie.

Si je suis arrivée dans la prostitution, à 16 ans, c'est le résultat d'une enfance épouvantable. J'ai fait l'expérience de la violence au delà de ce que l'on peut imaginer.
J'étais entrée dans une logique infernale. J'avais fait la morte dans l'inceste, j'ai continué dans la prostitution, j'ai été quitter par des hommes que j'aimais sincèrement et je me suis fait tromper par des proches qui étaient les dirigeants de ce secte encore appelé le trafic d'humains.
Pour tenter de résister, j'ai sombré dans la drogue. Encore aujourd'hui, penser à l'odeur de ces hommes et propositions choquante qu'ils m'ont fait subir, me donne envie de vomir.

Et mon vécu de prostituée n'a fait que renforcer ma honte d'exister. Pour moi, la honte était partout: honte d'avoir été victime d'inceste, honte d'avoir été prostituée, honte d'avoir été alcoolique, honte quand ils ont découverts qui j'étais vraiment, honte d'avoir était une droguée et surtout honte d'avoir gâché la vie de plusieurs ménages ainsi que celle de plusieurs familles.

Toutefois, je ne m'en suis pas sortie toute seule. Même si je crois avoir été forte, au bout du compte, il m'a fallu des rencontres pour persévérer.

J'ai entamé des psychothérapies, très douloureuses mais qui m'ont aidée à comprendre comment j'avais répété des situations d'échec, comment mon manque d'estime de moi m'avait inconsciemment fait prendre de mauvaises décisions et conduite vers des hommes abuseurs.

Et puis, alors que je ne pouvais même pas regarder un documentaire ou un film sur la prostitution tellement c'était insoutenable, j'ai commencé à avoir envie de témoigner.

Aujourd'hui, je m'engage pour la proposition de loi et pour la pénalisation des clients. Pénaliser les clients, c'est leur faire prendre conscience qu'ils n'ont pas le droit d'imposer leurs exigences à des femmes vulnérables, économiquement, psychologiquement et physiquement.

Les lois sont des gardes fous. Seule une loi pourra protéger les plus faibles, les plus précaires, donc les personnes prostituées. La prostitution n'est pas une fatalité. Notre monde a évolué parce que certains se sont dit un jour que c'était possible: l'apartheid en Afrique du sud, l'abolition de l'esclavage, le prix nobel de Nelson Mandela et bien d'autres choses encore... J'ai toujours en tête cette phrase de Gandhi qui m'aide à avancer: "Vous devez être vous-même, soyez le changement que vous voulez voir dans ce monde". Alors, que chacun s'y mette. Cette loi va nous y aider en tout cas, moi j'ai bien décidé de sortir du silence pour partager mon histoire.

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Merci ; )

Dans Le Parcours D'une Prostituée Sénégalaise.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant