Pigment

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Texte by FrozenMoon_

Sur l'étendue de ce mur semblant infini, ton portrait se recouvrait de mille nuances sombres. Je repeignais ce tableau mural de couleurs plus adaptées, te faisant renaître avec ce que tu m'as laissé. Les teintes sombres que jamais je n'ai autrefois réellement utilisées se projetaient sur ton visage que j'ai moi-même esquissé.

T'en souviens-tu ?

Te rappelles-tu de ce moment, Taeyong ?

Tu m'avais dit que ce mur m'offrait des millions possibilités, que sa pseudo-infinité m'en apporterait bien plus que mes toiles. Ce jour-là, pour la première fois, je t'avais trouvé incroyablement beau. T'avais cette part plutôt ésotérique, je m'étais promis de la déchiffrer, mais il se trouvait que j'étais particulièrement inapte à résoudre l'équation que tu représentais. Toute façon, j'avais toujours été nul en maths, et toi, tu personnifiais le problème que je repassais sans cesse en revu, alors que je ne possédais pas les bases adéquates.

On dit que les opposés s'attirent, c'est peut-être vrai, mais pour une période limitée. Après la réalité nous rattrape et on se rend compte que ce qui se ressemble s'assemble est sans doute plus véridique. Il y avait tant d'éléments qui nous séparaient, j'avais mes pinceaux, t'avais tes bombes, je portais des vêtements colorés, toi, tu possédais cette passion pour les jeans sombres troués et les sweats noirs bien trop larges. Alors que je préférais peindre en écoutant Debussy, tu adorais taguer au rythme d'une musique de Guns N' Roses.

En nous, j'y avais vu une romance clichée, mais toi, t'en voulais pas, tu souhaitais une aventure sans ligne conductrice, sauvage et éphémère. Pour moi, l'éphémère était futile, à quoi bon s'entêter si ce n'est pas fait pour durer ?

Les souvenirs de notre rencontre me transpercent encore, ils me perforent de part en part, en me rappelant douloureusement l'hostilité de notre courte histoire. Je m'en souviens parfaitement, avant toi, j'avais pour habitude de peindre jusqu'au soir, puis rentrer chez moi en évitant la tombée de la nuit. La pénombre m'effrayait, à cause d'elle, les couleurs disparaissaient, tout prenait cette nuance sombre. La gaîté du jour se perdait.

Et pourtant, tu avais réussi à me faire apprécier l'obscurité, en m'en montrant les mystères, ceux qui me paralysaient. J'y ai découvert les couleurs de la nuit, de toutes nouvelles nuances que je n'avais encore jamais osé approcher. Idiot comme j'étais, j'avais réussi à penser que si j'arrivais à les effleurer, je pourrais aussi t'apprivoiser toi. Dans ma tête, tu n'étais qu'un petit chiot apeuré, alors qu'en vérité, j'étais moi-même cet animal fragilisé.

Lorsque tes yeux s'étaient posés sur ma toile recouverte de teintes toutes plus vives les unes que les autres, j'avais été épris d'une certaine fascination. Mes couleurs se reflétaient dans tes iris noires telles une explosion de pigments, c'était sublime, t'étais magnifique.

Les mains dans les poches, un sac immense sur le dos, tu contemplais mon œuvre, et sans même te laisser le temps de me transmettre oralement tes impressions, j'avais récupéré mon chevalet et je m'étais enfui sur mon vélo. La nuit approchait, toi, tu ressemblais à un ange sombre venant annoncer le commencement de l'obscurité.

Durant toute cette soirée, mes pensées n'étaient dirigées que vers toi. Tu avais réussi à troubler ma petite vie paisible avec ta simple apparition. Et dans mon esprit, je peignais abstraitement les contours de ton visage, on pouvait y retrouver toutes les teintes de l'univers, mon tableau imaginaire brillait de mille feux nuancés.

Le lendemain, mon chevalet se retrouvait déplié au même endroit, mes pinceaux continuaient d'esquisser ce paysage, simultanément, je t'attendais. Je souhaitais redécouvrir mes couleurs fulminer dans tes iris. Il s'agissait d'un spectacle que je n'avais autrefois jamais connu, tel un feu d'artifice chimérique.

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