Hivernal

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Texte by Misspik

Le blanc s'étale à perte de vue. La glace règne en maître. Le froid nous pénètre profondément. Tout est figé, le temps, les sentiments sont suspendus. Une couche de givre recouvre peu à peu le corps, l'ensevelissant progressivement sous une couverture granuleuse. Le blanc s'infiltre sous tous les pores, remontant doucement, implacable. Il paralyse tout sur son passage, ne laissant derrière lui qu'une étendue désolée, glacée.

Tout avait pourtant commencé un jour d'été. L'insouciance était au rendez-vous. La chaleur était rafraîchissante. Elle avait réveillé un cœur trop longtemps en sommeil, fait naître les premiers battements d'un amour exalté. C'était l'été du renouveau. L'été de tous les possibles. L'été des découvertes. L'été où ton regard brûlant croisa le mien. L'été où l'amour nous a drapés de son voile incandescent. Il avait allumé un souffle de vie en moi. Alors que la lumière vient titiller chaque fibre de mon être, un tempo sourd et régulier démarre sous mon sein. Sa cadence se fait de plus en plus rapide, de plus en plus folle, de plus en plus erratique.

Mais le feu du soleil ne peut réchauffer nos peaux que le temps d'une journée. Alors que le rouge nous consume, nous brule de l'intérieur, que nos sens s'embrasent, la lumière décline lentement. Les lueurs fauves s'enroulent voluptueusement autour de nos silhouettes fiévreuses. Lorsque les premiers rayons de la lune viennent nous effleurer, ils déposent une fine pellicule d'argent, qui vient saccader nos mouvements. On n'y prend d'abord pas garde, trop perdus dans le rougeoiement de la passion. Mais il progresse à notre insu, avance pas à pas. Le rouge devient rose, les couleurs perdent de leur vigueur et s'éclaircissent petit à petit. Des taches couleur ivoire commencent à apparaitre. Nos gestes se font plus lents. Nos membres s'alourdissent, perdent de leur mobilité.

Rien de tout cela n'était prévisible. C'était l'été des amours, l'été qui dure toujours. On se croyait invincible. On croyait que nos corps seraient enlacés à jamais. Que toujours, l'ardeur de l'autre viendrait repousser le froid. L'amour avait laissé en nous une emprunte marquée au fer rouge, si enflammée, qu'elle nous paraissait indélébile. La lave coulait dans nos veines, alors que nos corps se fondaient l'un dans l'autre. Un brasier naissait entre nos reins, alors que la sueur coulait le long de nos épidermes.

Comment, durant les nuits chaudes, alors que ta main remonte le long de mon échine, déposant des étincelles flamboyantes sur son passage, alors que tes caresses se font pressantes, redessinant chacune de mes courbes, alors que nos cœurs explosent dans nos poitrines, battant un rythme endiablé, pouvons-nous imaginer que l'hiver est en train d'arriver ? Que la langueur va s'emparer de nos membres. Que nos souffles vont s'apaiser, jusqu'à devenir trop doux. Que ce courant qui nous relie, de toi à moi, de moi à toi, et brule nos âmes, va être brutalement coupé. Que ce va-et-vient qui nous maintient en vie, va ralentir et s'arrêter. Les je t'aime murmurés au creux de l'oreille, sont remplacés par un silence assourdissant, qui résonne dans l'immensité immaculée. Un engourdissement impitoyable s'empare de nous et transi chacune de nos cellules. Le flux vermillon qui circule en nous se solidifie. L'immobilité semble être le seul recours. Nous ne sommes plus que deux statues taillées dans la glace, qui se font face mais ne se voient pas. Le blanc s'est installé et rien ne peut le déloger. Il est partout désormais. Il s'est imposé dans chaque mot, chaque geste, chaque regard, chaque pensée. Il ne sert à rien de lutter et on n'essaye même pas. Toute combativité, tout élan de vie s'en sont allé à son arrivée. Il nous enserre dans un cocon, à l'apparence du coton mais à la dureté du fer. On n'est plus que des enveloppes vide. Plus rien ne peut nous atteindre, les sentiments extérieurs ne sont plus accessibles. L'effervescence torride du dehors ne parvient pas à traverser le blizzard qui le sépare de nos chairs pétrifiées. Il n'y a plus qu'à fermer les yeux et se laisser aller à la froideur de l'hiver. 

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