L'eau de tes yeux

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Texte by MissLune56

Je soupire en regardant le carton que je viens de remonter de ma cave.C'était le dernier. Enfin ! Essoufflé, je m'effondre sur le parquet. Bulle, mon chien, me grimpe sur l'estomac. Je grogne et le repousse, avant de me rassoir. Je contemple l'appartement vidé. Vidé de ses meubles, pas de ses souvenirs. Souvenirs... Le mot me trotte dans la tête. Pas étonnant, c'est celui qu'il y a d'écrit sur ce fichu carton super lourd. En revanche, impossible de me rappeler ce qu'il y a dedans. Curieux, je l'ouvre. Sur le dessus, une photo. Et tout me revient en mémoire.

Les filles, c'est pas mon truc. Avec mon physique, difficile de faire autrement : je suis une longue asperge, pas un gramme de muscle. Je suis moche, un point c'est tout. Et comme j'aime bien faire le mariolle, elles me prennent pour un imbécile. Y a qu'à voir comment elles me regardent : je suis une trace de boue sur leurs chaussures trop bien cirées. Elles ne m'adressent jamais la parole, dans mon nouveau comme dans mon ancien lycée. Je pensais que ça changerait,je me suis trompé. Et lourdement.
- A quoi tu penses ?
-Hein ? Moi ?
- Bah ouais, à toi, y a personne d'autre dans les escaliers ! rétorque Antonin, mon ami.
Ça, ça a changé. Des amis, je n'en avais pas dans mon ancien lycée de Neuchâtel. Mais ici, à Genève, je m'en suis fait plein.
- Bah je sais pas, je réfléchis, c'est tout.
- A la prochaine connerie que tu vas nous sortir en latin ? Le coup de la peinture, c'était génial !
Je souris, et bientôt, des éclats de rire nous secouent les épaules.
- Excusez-moi... murmure alors une petite voix.
- Oui ?commence Antonin, toujours prêt à rendre service.
Moi, je dévisage la personne à qui appartient la voix. C'est une fille.
-Je... J'étais pas là au dernier cour de latin, et je... Je voulais savoir si vous aviez beaucoup avancé...
Un coup d'œil à Antonin, et c'est parti. On a eu la même idée.
- Des déclinaisons d'adverbe. Hyper compliquée.
- Ouais, une histoire avec le Dembelum...
La fille fronce les sourcils. Elle doit se demander si on lui joue un tour. Elle va faire comme les autres,soupirer, nous traiter d'imbéciles, et repartir en haussant les épaules.
- Et le golare... j'ajoute.
La fille nous regarde,l'un après l'autre. Et elle sourit. Mais pas pour se moquer. Elle sourit gentiment.
- D'accord, merci. Le dembelum et le golare.
-Voilà, t'as tout compris ! s'exclame Antonin. Dembelum, dembele...
La fille rigole silencieusement.
- Merci. dit-elle, avant de remonter.
J'attends qu'elle ait disparu pour me retourner vers Antonin :
- C'est qui, elle ? Elle est avec nous en latin ?
-Bah ouais. C'est Aziliz Guen, elle est interne. Une Française, pas une Suisse. Très timide.
- Elle a l'air gentille.
Antonin hausse les épaules.
- Bon, tu viens manger à la cafétéria ?Je meurs d'envie d'un panini.

Dans la cafétéria,pendant qu'Antho dévore son panini, mon regard se porte tout seul sur le ciel bleu derrière les vitres. Il fait beau. Et devant les vitres, la fille. Elle discute avec une autre, brune. Je la vois sourire franchement. Le soleil fait danser des reflets roux dans ses cheveux. Je me souviens avoir déjà été fasciné par ce phénomène en cour de latin.
- Eh, Antho ! Elle est là ! je murmure, en lui prenant le bras.
- Bah oui, elle est là. Tranquille, gros. Elle mange personne, hein, elle ouvre même pas la bouche pour parler.
-Aziliz ? s'étonne Liam, assis avec nous. Tu la connais ?
-Latin. explique Anthony. Et toi ?
- Elle est ici depuis la primaire, comme moi. Toujours aussi timide.
Liam avale une bouchée de son sandwich et se reconcentre sur l'écran de son portable.
- Elle est souvent toute seule, ça me fait de la peine.
Je hoche la tête, et une idée fuse dans mon esprit.
-Allez, viens on lui propose de s'assoir à côté de nous en latin,gros.
Antho acquiesce.
- OK. Tu vas lui demander ?
Je me lève et me dirige vers la fille et sa copine.
- Hé, ça te dit,de...
Aziliz lève les yeux vers moi, surprise. J'ai le souffle coupé. Elle a des beaux yeux bleus, clairs comme l'eau d'un torrent de montagne.
- De t'assoir avec nous en latin. Parce que t'es souvent toute seule.
Elle hoche la tête, sans rien dire.
-D'accord.
Je lui tourne le dos, pour reprendre mon souffle.Qu'est-ce qui s'est passé ? J'entends sa copine chuchoter :
- Il a l'air gentil.
Je n'entends pas la réponse d'Aziliz.

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