T2 : Pour toi

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Texte by lalie_bellule

Chère Coralie,

La réalité est souvent difficile à avaler. Je préférerais rester blottie bien au chaud dans un monde imaginaire et idyllique, où nous serions chez moi, affalées sur un matelas confortable, en train de parler de ton amour secret tout en avalant des quantités astronomiques de bonbons colorés et acidulés.

Nous étions liées par un lien unique, une amitié hors du commun dont n'importe qui rêverait. Je savais tout de toi, tu savais tout de moi. Notre relation était parfois ponctuée de petites disputes, des incompréhensions. Quelques virgules, mais jamais de point final.

J'ai dû tant bien que mal me rendre à l'évidence ; ce point final à la fois inconcevable et redouté a été tracé. D'un brusque mais souple mouvement de stylo plume. À l'encre noir, noir comme les quelques morceaux restants de mon cœur brisé. Noir comme le sang sombre qui contrastait de ton visage pâle cette nuit-là. Noir comme toutes ces pensées qui me hantent jour et nuit depuis deux mois. Noir comme la terre humide dans laquelle a été posé délicatement ton cercueil lors de cette journée grise et pluvieuse, en écho à mon esprit sombre et vide.

J'aurais dû t'accompagner. T'accompagner à cette stupide fête avec toutes ces stupides personnes. Avec tout ce stupide alcool.

Je maudis l'Univers tout entier d'avoir fait qu'un rhume m'atteigne ce jour-là. Je me maudis de t'avoir laissée aller seule à cette soirée.

Pourquoi a-t-il fallut que ce soit toi ? Pourquoi a-t-il fallu que ce soit toi, qui a toujours été gentille et respectueuse ? Pourquoi a-t-il fallut que ce soit toi, et pas une mauvaise personne mal aimée ?

Lorsque tes parents, les cheveux en bataille, les yeux rouges soulignés de grosses poches bleues, ont sonné chez moi le lendemain soir de la fête chez moi, j'ai immédiatement su qu'il s'était passé quelque chose. Tu ne m'avais pas recontactée après la soirée, et je me faisais en sang d'encre. J'étais toujours la première à tout savoir, et tu ne t'étais plus connectée depuis près de vingt-quatre heures sur les réseaux sociaux. Ce qui n'arrivait jamais.

Au début, je t'ai détestée. Détestée d'avoir été à cette fête malgré que je ne sois pas là. Détestée de t'être laissée draguer. Détestée d'avoir accepté de te faire ramener par un garçon saoul. Détestée, détestée, détestée.

Puis les rôles se sont inversés. Je me suis haïe. Je ne méritais pas de vivre. Non seulement je laissais ma meilleure amie, ma sœur de coeur, ma raison de vivre et de sourire seule avec des gens peut-être mal intentionnés, mais en plus de cela, j'osais la détester pour une chose qui m'échappait totalement, mais qui me blessait profondément. Quelle égoïste je fais. Pourquoi aurais dû-je souffrir par ta faute, alors que tu n'étais même plus là pour me réconforter ?

Mais suis-je seulement la seule à souffrir ? As-tu souffert ? As-tu souffert lors de l'impact ? Lorsque cette voiture conduite par un garçon bourré a heurté cet arbre ? Ton souffle s'est-il arrêté immédiatement, lorsque tu es passée à travers ce pare-brise, ou ton cœur a-t-il arrêté de battre après plusieurs minutes ? Je ne peux m'empêcher de tourner et retourner cette question dans ma tête. Si vous n'aviez pas été sur une petite route de campagne peu fréquentée, que quelqu'un avait découvert la voiture accidentée habitée par deux corps inertes plus tôt, serais-tu encore en vie ? Serais-tu là, assise en tailleur sur ton bureau blanc à côté de moi, à me narrer tes aventures d'un soir, et moi, pendue à tes lèvres, la bouche emplie de popcorn ou d'autres cochonneries douces et sucrées ?

Je n'ai plus le goût de gâter mon palais avec des bonbons fondants et moelleux. Tout ce que j'ai avalé depuis deux mois a été sec et infect. Je ne veux justement pas me remémorer les saveurs d'autrefois, ces bonnes choses qui me rappellent nos moments ensemble.

Je sais que tu aurais voulu que je profite de ma vie. Mais j'en suis incapable. Depuis que tu es partie, plus rien n'a de sens. Pourquoi continuer à vivre de folles aventures si tu n'es plus là pour les partager avec moi ? A quoi bon tomber amoureuse d'un garçon si je ne peux plus t'en parler ? A quoi bon continuer de lutter à garder la tête hors de l'eau et de respirer si la seule personne qui m'empêchait de me noyer n'est plus là pour m'apprendre à nager ?

Tu l'auras compris. J'y ai pensé. Pensé à te rejoindre. Mais je n'ai pas pu m'y résoudre. Tu n'aurais pas voulu que je sacrifie ma vie parce que l'on t'avait enlevé la tienne. Alors, même si je ne pouvais plus vivre heureuse, j'ai décidé de laisser mon cœur battre jusqu'à ce que le destin ne décide qu'il était temps pour lui de cesser toute pulsation.

Peut-être que je mourrai dans longtemps. Peut-être que ma vie s'arrêtera dans peu de temps. Peut-être que j'arriverai à poursuivre ma vie sans toi, cependant avec un gros vide douloureux demeurant dans ma poitrine.

Alors, même si je ne peux croquer cette vie à pleines dents pour l'instant, et sûrement pendant encore un moment, je te promets de vivre.

Tu m'as bien lue ? Je vivrai. Mon organe vital battra pour le tien qui s'est éteint trop tôt. J'espère même qu'un jour mes lèvres s'étireront vers le haut pour ton sourire qui s'est figé prématurément. Je vais vivre, Coralie. Je vais vivre cette vie dont tu n'as que trop peu profité.

Alors, chaque larme qui tache ce papier, chaque bavure d'encre bleue sur cette lettre, est pour toi. Pour toutes ces perles salées qui auraient coulé de tes yeux océans et que j'aurais délicatement essuyées.

Je vivrai pour nous deux.

Et uniquement pour nous deux.

Je t'aime.

Galatée

Concours d'écritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant