Barbe Bleue

36 2 0
                                    

Texte by : badsushimille

« Lève toi! »

Elle ouvrit péniblement les paupières, souhaitant les refermer immédiatement. Mais elle n'avait pas le choix, elle devait obéir. Elle actionna ses jambes, ignorant la douleur que cela lui procurai.

« Habille toi »

Elle reçut dans la figure ses vêtements, constituait d'un collant épais, d'une jupe plissée et d'un pull large. Elle lui lança un regard de supplication, mais il l'ignora délibérément . Elle commença alors par enlever son tee-shirt, puis son short, restant en sous vêtements. Le visage de l'autre changea radicalement, passant de l'indifférence à un subit intérêt. Elle ferma les yeux, sachant ce qui allait suivre. Alors qu'il n'était plus qu'à quelques centimètres, des coups retentirent à la porte de l'entrée. Il lui lança un regard féroce avant d'aller voir. Elle se dépêcha de s'habiller, en essayant de ne pas prêter attention aux nombreuses ecchymoses lui couvrant le corps puis s'assit sagement sur le lit, et écouta la conversation qui se déroulait à l'entrée.

« On se demandait si tout allait bien, nous avons entendu des coups hier soir... dit une voix qu'elle identifia comme celle d'un voisin

_ Oui, nous avons regardé un film d'horreur! répondit-il avant d'enchaîner, Maintenant excusez moi mais j'ai du travail. »

Et il leur claqua la porte au nez. Elle se crispa en entendant les pas revenir vers la chambre. Quand il vit qu'elle était vêtue, il lui lança un regard dédaigneux puis se détourna, désintéressé. Au bout d'une dizaine de minutes, il se souvint de son existence et la chassa d'un geste de la main. Elle prit alors son sac à main et partit, laissant son mari à l'appartement. Il allait, encore une fois, passer sa journée à dormir et à boire.

Elle marcha une demi-heure jusqu'à arriver face à un grand bâtiment, plus précisément une tour, accueillant des bureaux. Elle y pénétra en s'efforçant d'avoir l'air naturel, remerciant malgré elle son mari de lui avoir donné des vêtements suffisamment épais pour cacher ses hématomes. Ne prêtant pas attention aux regards méprisants que lui lançaient les gens, elle rejoignit son bureau. À peine elle l'atteignit qu'elle s'affala sur sa chaise en se massant les tempes. Mais elle ne s'accorda pas trop de repos, et commença son travail. Celui-ci consistait à trier des documents, des centaines de documents qu'elle classait toute la journée. Ce n'était évidemment pas elle qui avait choisi de faire cela, c'était son mari. Car en plus d'être très bien rémunéré, c'était un des seuls emplois qui acceptait les gens muets.

Muette, elle l'avait toujours été. Elle s'était tu lorsque les enfants de son école lui faisaient des croches-pattes en cours, elle s'était tu lorsqu'au collège on la bousculait dans les escaliers. Les gens ne se gênaient pas, ils savaient qu'elle n'allait rien dire. Qu'aucun son ne les dénonceraient jamais. Ce n'était pas vraiment la faute de ses parents: ceux-ci avaient essayé d'incruster leur fille dans la société, de l'aider. Seulement, ils n'étaient pas préparés à élever une enfant ayant un sens en moins. Ils s'y prenaient de la mauvaise manière, et maladroitement. Alors elle partit le jour de ses dix-huit ans, ne voulant pas être un trop lourd fardeau pour eux. Depuis, elle n'avait aucune nouvelle d'eux... Au bout d'un mois d'errance, un homme l'avait embauché en tant que cuisinière. Elle ne devait ce premier travail qu'au fait que ce dernier refusait d'engager un homme pour « un travail de femme ». Après un an, Il était venu, et l'avait repéré. Le lendemain, Il l'emmenait et la semaine suivante ils se mariaient. Elle avait dit oui naïvement, croyant avoir trouvé un homme que le silence ne dérangeait pas. Bien au contraire... Chaque soir, il la bâtait, lui hurlant de répondre à ses questions. Elle encaissait, les larmes coulant silencieusement le long de ses joues.

« Vous ne voyez pas que je souffre! avait-elle envie de hurler à tous les employés, Vous ne voyez pas que sous mes vêtements se cachent autant de blessure que de mots que je n'ai jamais pu prononcer! »

Évidemment, personne ne l'entendait, personne ne la comprenait.

Ce soir-là était normal. Elle rentrait du travail, anxieuse à l'idée de retrouver son mari, bien qu'elle soit habituée. Sauf que pour une fois, elle ne le trouva pas dans l'appartement. Intriguée, elle commença à déambuler, profitant de ce moment rare de calme. Elle n'allait quasiment jamais dans une autre pièce que la chambre, sauf pour aller faire à manger dans la cuisine. Ainsi, malgré que cela fasse cinq ans qu'elle habite ici, elle découvrait le salon pour la première fois. Avec un haussement de sourcil, elle vit un canapé à l'accoudoir gauche déchiré, une vieille table basse et un papier peints blanc salle arraché par endroits. À l'image de son mari. La jeune femme soupira avant de s'asseoir sur le canapé pour faire le point. Mais elle n'en pouvait plus de garde cela dans sa tête. Alors elle prit une feuille et un crayon, et se confia:

« Pourquoi moi? Pourquoi suis-je muette, pourquoi suis-je condamnée à tous garder dans ma tête? Je pensais m'échapper en venant ici... mais à la place je suis constamment torturée, mentalement la journée et physiquement le soir. J'ai un mari qui me bat, et un handicap. Jamais je ne pourrai extérioriser ma douleur. Jamais je ne pourrai le dénoncer. Je suis muette. Rahhhh! Pourquoi les gens sont si bêtes! Pourquoi est-ce tomber sur moi... La société n'en n'a rien à faire de moi, je ne suis qu'une vulgaire employée, sans amis et sans vie sociale... Pourrais-je un jour être heureuse? Tant de questions que je ne pourrai jamais poser... »

Elle s'interrompu quand elle entendit des bruits venant de l'entrée. Paniquée, elle lâcha le crayon et se précipita vers la première porte qui lui vint sous la main. C'était encore une pièce inconnue... Oubliant presque le retour de son mari, elle l'examina. Elle se trouvait dans une salle extrêmement sombre, sans fenêtres et sans aérations. Seule une petite lampe éclairait un mur. Sur celui-ci, quatre photographies encadrées étaient exposées, chacune d'entre elle représentant une femme différente. Qui étaient-elles?

« Tu sais qui sont ces personnes? »

Affolée, elle se rendit compte que son mari été entré, et qu'il observait avec elle les photographies. Mais bizarrement, il avait l'air plus calme qu'à l'habitude. Elle secoua la tête négativement. Désignant la première photographie, il expliqua:

« Celle-ci était ma première femme. Je l'aimais vraiment, et on voulait se marier au plus vite. Seulement voilà... Elle était sourde. Et un jour, un camion qui ne faisait pas attention l'a renversé. Elle ne survécut pas à ses blessures. Je fus dévasté... comme tu l'as remarqué, j'ai sombré dans l'alcool. Et c'est au milieu des bouteilles qu'une idée me vint. Ma première femme était sourde; elle est morte à cause de son handicap. Très bien... Alors je ne vois pas pourquoi seulement mon amoureuse mourrait à cause de son sens en moins! »

Elle prenait une expression horrifiée au fur et à mesure que la folie montait au visage de son mari.

« Celle-ci était anosmique, c'est-à-dire qu'elle n'avait pas d'odorat. Elle n'a donc pas senti le poison que j'ai versé dans son verre... dit-il en désignant une photographie, J'ai fait de même pour celle qui n'avait pas de goût, mais j'ai placé le poison dans la nourriture. Elle, elle était aveugle, et avait d'autant plus de mal à se défendre lorsque je la bâtais. Elle est morte sous mes coups... compléta-t-il en montrant les deux autres photographies »

Il sortit de sa poche un dernier portrait. Elle se reconnut dessus. Bien que cela soit trop tard, elle prit vraiment peur à ce moment-là.

« Et c'est maintenant au cinquième sens de pâtir... déclara-t-il avec un sourire cruel »

Il tendit ses mains vers elle avant qu'elle eue le temps de sortir. Alors qu'il posait ses mains sur sa gorge, elle poussa son premier et dernier cri.

Concours d'écritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant