Texte by : PrBlueberry
Il fait nuit.
Séoul clignote des lumières aveuglantes des panneaux publicitaires, des lampadaires, des fenêtres allumées à intervalles réguliers sur les façades lisses des grands immeubles noirs, qui projettent leur ombre menaçante même lorsque le soleil a disparu derrière l'horizon.
Les étoiles.
Trop de pollution lumineuse. Elle ne parvient pas à les voir. Même en plissant les yeux. Même en scrutant désespérément le ciel. Non, aujourd'hui, les étoiles ne lui viendront pas en aide.
Le vide.
Sous elle. Un pas. Un deuxième pas. Elle n'écarte pas les bras pour aider son équilibre : ses pieds trouvent le câble fin, tendu entre les deux murs effondrés d'un bâtiment abandonné, tous seuls, comme s'ils le connaissaient par cœur. C'est le cas, d'ailleurs. Ce câble, elle le suit depuis longtemps. Elle s'extirpe de l'appartement qu'elle partage avec ses parents, à n'importe quelle heure, quand l'envie lui prend, et vient s'oublier ici, entre quatre murs délabrés. Elle avance. Son équilibre est parfait, absolument parfait. L'ancien sol, qui s'étendait, jadis, sous le filin, s'est désagrégé, grignoté par les âges.
Ainsi, plus de dix mètres la séparent de la terre ferme.
Elle avance, encore.
Les mains dans les poches, un goût âcre dans la bouche. Elle a branché son casque sur son téléphone, mais n'a pas démarré la musique. Ce serait bête qu'elle se fasse surprendre à jouer les funambules au milieu de la nuit, qui plus est dans un établissement voué à la destruction. Elle a besoin d'utiliser tous ses sens.
La même émotion l'envahit.
Elle s'arrête, au beau milieu du câble tendu.
Son poids le fait plier.
D'un côté, le vide. De l'autre, le vide. Devant, le vide, derrière, le vide, le vide est partout, dans sa vie, dans sa mort, dans ses rêves et ses cauchemars.
Les pensées se télescopent dans sa tête, tant et si bien qu'elle finit par pousser un hurlement de détresse, son corps si léger oscillant tel un pendule entre le vide et le vide. Erreur: on ne crie pas dans un bâtiment désaffecté qui fait rebondir les sons, prolongeant sa voix par la même occasion.
-Y'a quelqu'un ? Appelle une voix jeune, mais surtout inquiète.
La jeune fille s'assène une claque mentale. Crier, mais quelle bonne idée... Elle ne répond pas. Mais trop tard : un jeune garçon a pénétré dans l'immense salle aux murs de pierre.
Enfin, trop tard, non.
Pas encore.
Après tout, il n'a pas levé les yeux vers elle.
Ah, si.
Dommage.
L'inconnu écarquille les yeux, bouche-bée, avant de lâcher un cri strident qui se répercute sur les murs couverts de mousse verte.
-Aaaah ! Un fantôme ! A l'aide ! Au secours !
-Mais tait-toi, imbécile ! Siffle la jeune fille, au comble de l'inquiétude.
Si quelqu'un les retrouve là, au cœur d'un établissement ceint d'une barrière très explicitement marquée des mots « interdit d'entrer », que risque-t-elle ?
-Tu es humaine, hein ? Demande le garçon, peu rassuré.
Elle lève les yeux au ciel.
-Évidemment. Je peux savoir ce que tu fais là ?