Je jure en ouvrant la porte moustiquaire qui grince. Je n'ai pas la moindre envie de voir débarquer mon père pour me dire que je sens le cognac.En même temps,ça lui donnerait peut-être envie de boire un petit coup lui-même.
La voix de Jane dans ma tête me reproche immédiatement cette pensée cynique, et je me pince l'arête du nez en secouant la tête pour la faire taire.
Je manque de renverser une lampe en enlevant mes boots.Je m'agrippe à l'angle du mur pour garder l'équilibre et je finis par réussir à ranger mes chaussures à côté de celles de Jane.Mes mains sont moites quand je monte l'escalier aussi doucement que possible.Je ne suis pas soûle,mais bien éméchée quand même,et je sais qu'elle va être encore plus en colère que tout à l'heure.Elle était vraiment furieuse,et je ne fais qu'en rajouter en rentrant tard et bourrée.En fait,j'ai un peu ..Peur d'elle en ce moment.
La porte de la chambre que nous partageons s'ouvre avec un petit grincement,j'essaie de faire le moins de bruit possible et de me diriger dans le noir sans la réveiller.
Raté !La lampe de chevet s'allume et Jane me toise d'un regard impassible.
- Excuse moi..je ne voulais pas te réveiller.
Elle pince les lèvres.
- Je ne dormais pas.
Ma poitrine se serre.
- Il est tard,je sais.Je suis désolée.
Mes mots s'emmêlent un peu.Elle plisse les yeux.
- Tu as bu?
Malgré son expression renfrognée,elle a les yeux brillants.La douce lumière qui éclaire son visage me donne envie de le caresser.
- Oui.
Je m'apprête à affronter ses foudres.Mais elle soupire et porte les mains à son visage pour repousser les petites mèches folles qui se sont échappées de sa queue-de-cheval.Elle n'a l'air ni inquiète ,ni surprise de me voir dans cet état.
Trente secondes plus tard,toujours rien.Elle se contente de rester assise là sur le lit,appuyée sur ses bras,à me regarder d'un air triste tandis que je reste planté au milieu de la pièce.
- Dis quelque chose.
Je cherche à briser ce silence accablant.
- Non.
- Euh?
- Je suis crevée et toi soûle.Que veux-tu que je dise?
Elle ne montre aucune émotion.Je redoute toujours le moment où elle va finir par craquer,où elle en sera au point où elle en aura vraiment marre de supporter mes conneries et,franchement,j'ai une trouille bleue que ce moment soit arrivé.
- Je ne suis pas soûle,j'ai seulement bu trois verres. Tu sais bien que c'est que dalle pour moi.
Je m'assieds sur le bord du lit.Un frisson court dans mon dos quand elle s'éloigne de moi.
- Où étais-tu?
Sa voix est douce.
- A côté.
Elle ne me lâche pas des yeux,attendant plus d'explications.
- J'étais avec cette meuf,Lili.Son père était à la fac avec le mien et nous avons bavardé.Une chose en entraînant une autre,nous..
- Oh mon Dieu.
Jane ferme les yeux brusquement et elle se bouche les oreilles en remontant les genoux sur sa poitrine.J'attrape ses deux poignets dans une main et je les ramène sur ses genoux.
- Mais non,ce n'est pas ce que tu crois.Putain.Nous avons parlé de toi.
Je m'attends à ce qu'elle lève les yeux au ciel avec incrédulité,comme d'habitude.Elle ouvre les yeux et me regarde.
- Comment ça,de moi?
- De cette histoire de Carcosa.
- Tu as parlé de Carcosa avec elle alors que tu refuses d'en parler avec moi?
Elle a l'air plus étonnée qu'en colère,et je n'y comprends plus rien.Ce n'est pas comme si j'avais décidé de parler avec cette meuf,c'est elle qui m'a pratiquement forcé à le faire.Mais dans un sens je ne suis pas mécontente qu'elle l'ait fait,je crois.
- Non,ce n'est pas ça, c'est toi qui m'as dit de dégager.
La fille en face de moi a bien les traits de Jane,mais son attitude n'a rien à voir avec elle.
- Et tu as passé tout ce temps avec elle?
Ses lèvres tremblent.
- Non ,je marchais et je suis tombée sur elle.
Je tends la main pour repousser ses mèches indisciplinées et elle ne recule pas.Sa peau est chaude sous ma caresse.Elle appuie sa joue sur ma paume,elle ferme les paupières tandis que je caresse du pouce le contour de sa pommette.
- Elle te ressemble beaucoup.
Je ne m'attendais pas à ce que les choses prennent cette tournure.Je pensais subir une déclaration de guerre.
- Tu l'aimes bien,alors?
Elle soulève les paupières et ses yeux croisent les miens.
- Ouais,elle est sympa.
Je hausse les épaules et elle referme les yeux.
- Je suis crevée.
Elle retire ma main de sa joue.
- Tu n'es pas fâchée?
Quelque chose me taraude,mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus.Saloperie d'alcool.
- Je suis seulement fatiguée.
Elle se laisse retomber sur l'oreiller.
Une sirène se met à hurler dans ma tête quand je perçois cette absence d'émotion dans sa voix.Elle me cache quelque chose.Et je veux qu'elle me dise quoi.
Mais elle se rendort,à moins qu'elle ne fasse pas semblant.Je dois me rendre à l'évidence,je vais être obligé d'ignorer ces signaux pour ce soir.Il est tard.Si j'insiste trop,elle va me virer encore,et ce serait insupportable.Je ne peux pas dormir sans elle,et je suis contente qu'elle me laisse venir dans le lit après cette histoire avec Sandra.De plus,l'alcool me donne envie de dormir,comme ça je ne resterai pas éveillée toute la nuit à me demander ce qui peut bien se tramer dans la tête de Jane.
Point de vue de Jane
La lumière du matin se répand dans la chambre quand le soleil se lève à l'horizon.Mon regard va des portes du balcon à mon ventre sur lequel repose le bras de Jess.De ses lèvres entrouvertes s'échappe un doux ronronnement.Je ne sais pas si je devrais la virer du lit ou repousser ses cheveux bruns de son front pour poser mes lèvres sur sa peau rougie par le soleil.
Je suis tellement en colère contre elle pour hier soir.Elle a eu le culot de rentrer à une heure et demie du matin,et exactement comme je le craignais,elle puait l'alcool.Un nouveau fil dans cette toile déjà bien emmêlée.Et puis il y a cette fille qui me ressemble, parait-il, et avec qui elle a passé plusieurs heures.D'après elle,elles n'ont fait que parler,et je la crois.Mais Jess,qui refuse de discuter de tout ce qui, de près ou de loin,se rapporte à Carcosa,n'a apparemment pas de soucis à en discuter avec elle.
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Une rencontre
Teen FictionQuand Jane rentre à l'université, elle se promet de profiter de cette liberté pour fuir la maison familiale. Surtout échapper aux disputes incessantes de ses parents, qui se déchirent en permanence. Elle allait pourvoir étudier la médecine comme Jan...