26 décembre - Mauvais présage

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 « Tenez votre bâton bien droit devant vous, puis opérez une légère inclinaison du poignet, pour venir entamer une fente vers l'avant, comme ceci... »

Concentré sur ces instructions, je m'appliquais à reproduire méticuleusement les gestes indiqués dans la vidéo que je venais de charger, une manche à balai me faisant office d'armement. Par chance, ma chambre était suffisamment vaste pour y manipuler mon bout de bois sans prendre le risque de décapiter malencontreusement l'une de mes figurines. Les actions à entreprendre étaient complexes, à la caméra elles apparaissaient davantage comme une chorégraphie tant les mouvements du maître à l'écran étaient fluides. Les miens, je devais le reconnaître, restaient plus brouillon. Après plusieurs mois d'apprentissage acharné, j'avais dépassé le rang de novice, mais certaines subtilités des arts martiaux m'échappaient encore.

— Ce n'est pourtant pas compliqué ce coup-ci, pensai-je à voix haute. Fais un effort.

Comme souvent, un agacement face à mes échecs ne tarda pas à ressortir. Pour y pallier, je redoublai de ténacité, amplifiant mes mouvements afin de mieux les contrôler. Lors d'une rotation digne des plus grandes majorettes, épuisé de mon arme cogna l'une de mes étagères, secouant ses occupants dans un lourd fracas. Ce son en ma demeure avait l'effet d'une incantions pour l'invoqué dans la seconde à suivre ; il me fallait à présent agir vite. Le plus important était de cacher le bâton afin d'écarter tout soupçon, et juste après, de quitter la vidéo, ce que je m'empressai de faire. J'eus tout juste le temps d'appuyer sur la croix, que ma porte s'ouvrit sur le visage affolé de ma mère.

— C'était quoi ce bruit ? Tu t'es cogné quelque part ?

Environ douze seconde. C'est surprenant, son record actuel étant de sept, j'étais légèrement déçus par sa performance. Elle devait se trouver à l'étage du bas, oui, très certainement, elle fera mieux la prochaine fois.

— Enfin, réponds-moi ! s'emporta-t-elle un peu plus en me saisissant par les épaules.

— Tout vas bien, lui répondis-je d'un calme contrastant parfaitement avec son inquiétude. Je me suis énervé sur mon jeu et j'ai cogné le meuble en m'emportant.

— Ça ne va pas bien la tête ?! Fais-moi voir tes mains.

— Je te dis que tout va bien.

S'exemptant de mon consentement, elle prit mes mains pour les ausculter à l'œil nu.

— Tu as bien fais ta piqûre ce matin ? me demanda-t-elle, toujours aussi affolé.

— Comme tous les jours.

— Fais-moi voir ton carnet.

Uniquement motivé par l'idée d'écourter ce moment affligeant, je sortis d'un tiroir mon carnet de santé, celui sur lequel chacune de mes injections sont soigneusement notées. Sur la dernière page y figurait ma signature, accompagné de la date d'aujourd'hui.

— C'est bon, je suis en règle madame l'agent ?

En guise de réponse elle referma le carnet, soulagée. Malgré seize ans de vie commune, j'étais encore une fois sidéré par l'exagération de son affection. On avait l'impression qu'elle surjouait ce rôle de mère poule, pourtant, c'était bien elle : une femme dévastée par l'idée de perdre son fils unique. J'aurais pu trouver ce comportement émouvant, si je n'étais pas celui qui subissait ses excès.

— Je ne veux plus t'entendre cogner quoi que ce soit, la prochaine fois je te confisque tes jeux si ça continue.

— Ça serait plus efficace de m'attacher, tu ne crois pas ?

— Ne vas pas me donner des idées, tu pourrais le regretter.

Malgré mes débats, elle parvint à m'apposer une bise sur le front, avant de repartir à son télétravail. Ce n'est que lorsque la porte fut de nouveau fermé, que je pu soupirer. Elle n'avait pas trouvé mon bâton dissimulé dans l'ombre d'un coin, je venais de frôler l'incident diplomatique. Si elle venait à découvrir ma passion pour le maniement des armes, j'étais bon pour la camisole de force. Aussi, pouvait-on se demander pourquoi jouer avec le feu de la sorte ? Peut-être étais-je influencé par mon ami Lucas ou mes nombreuses références de récits épiques. Peut-être était-ce par simple esprit de contradiction avec ce qui m'étais demandé, ou par provocation envers ma mère. Je n'y avais pas réfléchi, mon seul constat était que je prenais plaisir à m'exercer, et cela me suffisait à braver l'interdit.

Autre Monde - Journal d'un long marcheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant