10 juillet - Premier signe

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Après plusieurs semaines à parcourir l'ancienne Amérique ravagée par une faune chaotique, j'avais plus que jamais besoin de repos, et le site panesque que je venais de rejoindre fit un abri parfait. Cette ancienne ferme parfaitement aménagée était dénuée de protection réelle pour faire face à une menace quelconque, c'est pourquoi elle misait tout sur la discrétion. En plein centre de vastes champs situés non loin d'une grande ville, il suffisait de refermer les volets des bâtiments et de s'y cacher à l'intérieur pour que l'endroit paraisse inhabité. Mais peu m'importait leurs systèmes de défense, car même si j'avais légèrement prolongé mon séjour chez eux, la date de mon départ n'en était que simplement retardée. Rien ne me retenait ici, du moins, presque rien.

La ferme était composée de trois bâtiments. Le premier était une imposante maison faite de bois servant de lieu de vie pour les quatorze pans qui l'entretenaient du mieux possible. Un peu plus loin, une vieille grange faisait office de débarras pour tous les objets encombrants s'entassant les uns sur les autres. Et enfin, à quelques pas vers l'ouest, s'élevait un silo aménagé de sorte à stocker la cultivée dans les champs. Ce que j'appréciais le plus faire lorsque je ne prêtais main forte à personne, c'était de gravir l'échelle de cette tour pour me poser sur son toit. De là, j'avais une vue imprenable sur l'horizon et sur cette forêt intrigante. Le vent fouettant mes cheveux, et le regard inspiré, tourné vers l'horizon, je pouvais passer de longues heures à contempler ce spectacle à couper le souffle. Jusqu'à ce qu'un soir, des cliquetis métalliques provenant de l'échelle m'indiquèrent qu'une autre personne était en train d'atteindre le toit. Après tout, cet endroit ne m'appartenait pas ; rien de surprenant à ce qu'un autre individu désirait également profiter du panorama. Une fois que le silence se fit de nouveau, je comprenais que la personne venait de gagner le toit, et pour voir qui d'autre pouvait bien avoir fourni l'effort de me rejoindre à cette hauteur vertigineuse, je me retournai, et tombai face à la fille qui m'avait frappé par sa beauté dès mon arrivée. Je la voyais régulièrement ces derniers jours, mais ne lui avait encore jamais adressé la parole. Nous étions tous les deux, face à face, moi au bord du précipice, et elle au niveau de l'échelle. Mon cœur s'emballe sommairement et je me fis violence pour me maintenir assuré. Ce n'était pas le moment de perdre mes moyens. J'avais dirigé un groupe d'une vingtaine de personnes pendant des mois, combattu des cyniques haineux armés jusqu'aux dents, et balayé des terres sauvages peuplées de dangers... Hors de question d'être effrayé par une inconnue ! D'un sourire, j'engageai la discussion :

— Salut, toi aussi tu viens profiter du paysage ?

Elle ne répondit pas. L'avais-je vexé ? Est-ce qu'elle ne m'apprécierait simplement pas ? Sans en comprendre les raisons, j'étais dans l'appréhension totale de sa réaction. Le court instant de gêne qui s'en suit me parut interminable. Elle se mit finalement à lever ses bras vers son visage et enchaîna sur une multitude d'autres mouvements qui s'apparentaient à une langue facilement identifiable, mais que je ne maîtrisais pas pour autant : le langage des signes.

Elle est muette ! m'écriai-je intérieurement.

Cela expliquait pourquoi je ne l'avais encore jamais entendue. Il faut dire que je m'attendais à tout sauf à ça ; l'assurance que j'étais tant bien que mal parvenue à garder s'effondra sur-le-champ. Je ne savais plus quoi lui répondre. Si elle ne parlait pas, c'était que logiquement, elle ne devait pas entendre non plus ? Je voulus tenter de poursuivre le dialogue, mais la scène qui s'en suivit s'avéra ridicule.

— Ah d'accord ! Euh... (je la désignais du doigt) toi, vouloir voir paysage (en montrant l'horizon) ? Euh... ?

C'était définitif, j'avais perdu tous mes moyens et mon charisme par la même occasion. Aussi stupide que cela pouvait l'être, j'épelais et mimais le moindre de mes mots pour me faire comprendre, visiblement en vain. Me voyant en train d'essayer désespérément de m'en sortir du mieux possible, elle fronça les sourcils, et sourit légèrement, amusée de la situation. Mon visage vira au rouge en un éclair. Je ne savais plus ou me mettre, je ne maîtrisais absolument pas la situation ; un repli stratégique s'imposait.

Autre Monde - Journal d'un long marcheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant