27 décembre (soir) - Retrouvailles inespérées

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Même s'il habitait au bout de la rue, arrivé chez Lucas m'avait pris une éternité tellement il était difficile d'avancer dans cette épaisse couche de neige. Lorsque je suis entré chez lui par la fenêtre, il n'y avait pas un bruit. Puis, il apparut soudainement devant moi, prêt à m'assommer à coup de batte de baseball. Il s'arrêta juste à temps : lorsqu'il reconnut mon visage, il lâcha son arme pour me prendre dans ses bras. Quel soulagement cela fut de le voir, je n'avais jamais été aussi heureux de le retrouver. En regardant autour de moi, je vis qu'il avait aménagé toute sa maison, la transformant en véritable barricade. Lui aussi avait perdu connaissance, et ses parents étaient également introuvables. Cependant il n'était pas seul, et c'est comme ça que je compris pourquoi il s'était adapté si vite. Il était avec ses deux petites sœurs de 6 et 12 ans, et son frère d'à peine 10 ans. Je les avais complètement oubliés. A peine s'était-il réveillé qu'il avait compris que sa priorité était de les protéger. Les pauvres étaient terrorisés et n'auraient jamais pu s'en sortir seuls sans leur grand frère. A vrai dire, moi aussi au fond de moi j'aurais aimé que Lucas me rassure d'une manière ou d'une autre, qu'il m'apporte des réponses même si ce n'était que des mensonges pour me rassurer...Mais il était évident qu'il n'était pas plus avancé que moi, et qu'il était déjà bien trop occupé à rassurer ses petits frères et sœurs pour s'occuper de moi en plus. Sur le coup je m'en suis voulu d'avoir espéré, rien qu'un peu, être réconforté. C'était pitoyable, je n'étais plus un bébé. Lucas lui, avait pris les choses en main en ayant la responsabilité de sa famille en plus, et me rendre compte que moi j'avais quitté ma maison en quête d'un quelconque réconfort me fit me détester intérieurement. Il fallait cependant se déplacer. Rester ici n'avait pas plus d'intérêt que de rester chez moi à attendre des secours. C'était dehors que les réponses se trouvaient.

En réfléchissant rapidement, il me vint une idée : mon ancien collège. C'était un bâtiment en plein centre-ville, assez grands, donnant sur une vue d'ensemble de la ville, et dont toutes les entrées pouvaient être fermées, et étaient entourées d'un grand grillage en fer. Durant les cours, je regardais souvent par la fenêtre, profitant de ces instants si rares où je n'étais pas dans ma chambre. C'était l'endroit parfait pour s'installer et rassembler du monde, car si nous, nous étions toujours là, il était évident qu'il y avait d'autres personnes.

N'ayant aucune idée de ce qui pouvait arriver dehors, la discrétion fut notre priorité en quittant la maison. Je fus impressionné de voir à quel point le frère et les sœurs de Lucas étaient obéissants quand il leur demanda de ne pas faire de bruit.

Le silence qu'il y avait dans les rues était glaçant. De temps à autre, des bruits de casse, d'animaux, ou que je ne saurais décrire se faisaient entendre au loin, et nous nous efforcions de contourner l'endroit le plus possible. Je n'avais jamais connu une expérience aussi angoissante. Tous mes sens étaient aux aguets, et je tenais ma lance rafistolée bien devant moi, prêt à agir au moindre mouvement. Je me sentis ridicule pendant un moment, avant de constater que Lucas faisait de même avec sa batte.

Ce silence fut rompu d'un seul coup, quand un énorme « Eliooo ! » se fit entendre de très loin derrière nous. Cette voix m'était familière, et même si une importante distance nous séparait, je reconnu tout de suite la silhouette qui venait de crier : c'était Zac, et juste à côté de lui se tenait Dimitris, qui était déjà en train de courir pour nous rejoindre. Nous étions en larmes, jamais je n'aurais pu croire que l'on arriverait à se retrouver si vite. A peine s'étaient-ils réveillés qu'ils s'étaient rejoints, et qu'ils étaient en chemin vers nos maisons à moi et à Lucas. La situation était toute autre maintenant que j'étais avec mes amis de toujours. Guerre nucléaire, fin du monde ou apocalypse zombie, j'aurais dû me douter que rien de tout ça aurait été en mesure de nous séparer. Nous quatre réunis, j'avais le sentiment que rien ne pouvait plus nous arriver, et pendant un instant je ressenti un frisson d'excitation à l'idée de continuer cette aventure à leurs côtés. Ce frisson s'estompa la seconde d'après quand des sortes de grognements d'une tonalité très grave résonnèrent à proximité. L'appel de Zac n'avait pas attiré que notre attention, et aucun d'entre nous n'avait envie de découvrir qui d'autre avait été alerté par le bruit.

En chemin, la révélation de Dimitris fût un deuxième choc pour tout le groupe. Alors qu'on s'attendait à ce que sa famille à lui aient également disparus, il nous apprit que dans la chambre de ses parents il y avait un énorme monstre, la peau et les vêtements en lambeau, pleins de pustule mais abordant tout de même les traits de son père, qui avait tenté de l'attaquer. Tout cela l'avait poussé à fuir sa maison, et c'est là que Zac l'avait trouvé en pyjama dans la rue, tout affolé au milieu de la neige. Au début, personne ne voulait y croire, mais il était évident que Dimitris ne mentait pas. Les adultes avaient-ils muté pour devenir des créatures humanoïdes agressives ? Cette idée fit paniquer tout le monde, surtout les plus jeunes. Il était plus que tant de se mettre à l'abri, les rues n'étaient pas sûres.

Arriver au collège nous prit la journée, et sur le chemin, plusieurs autres enfants et adolescents s'étaient alliés à nous. Eux aussi avaient croisé le chemin des monstres humanoïdes, et même si moi je n'en avais pas encore aperçu un seul, les descriptions qui étaient faites d'eux suffisaient à me faire comprendre qu'une rencontre avec eux serait une des pires choses qui pourrait nous arriver. Une fois devant les grilles, nous étions une quinzaine, et même si nous n'avions que très peu parlé sur le chemin, chacun avait une histoire similaire à la nôtre : tempête, amnésie, réveil, puis fuite avant de nous retrouver dans la rue. Pénétrer dans le bâtiment fut simple. Il avait suffi d'entrer par effraction chez la gardienne, qui elle aussi avait disparu, pour prendre le trousseau de clés du grillage, et de toutes les portes du collège.

C'est là que nous en somme pour le moment. Tous dans une salle de classe à essayer de trouver le sommeil, tandis que moi j'écris sur mon journal. Tout le monde m'a observé étrangement quand je l'ai sorti de mes affaires et que j'ai commencé à écrire dessus. Il faut dire que si la tempête a frappé la terre entière, je dois très probablement être la dernière personne au monde à écrire un livre en ce moment même. Mais bon, je crois que j'y ai pris goût, puis ce sentiment d'avoir quelque chose d'unique n'est pas désagréable, et me donne plus qu'envie de continuer à écrire. J'ai aussi l'impression que cela a un peu apaisé tout le monde de me voir calmement écrire comme si de rien n'étais.

Autour de moi, personne ne trouve le sommeil. Tout le monde a le regard plongé dans le vide, et je sais exactement ce que chacun est en train de se dire : « c'est un cauchemar, je vais me réveiller ». A vrai dire, cette idée m'a également traversé l'esprit, mais j'ai vu suffisamment de films et de séries sur la fin du monde pour comprendre que cette fois, la fiction avait rattrapé la réalité. On ne doit plus être loin de 1h du matin, et même si je pourrais passer la nuit à regarder la rue en espérant que des secours arrivent, je ferais mieux de dormir pour être en forme demain, car cela m'étonnerait que la prochaine journée soit plus reposante qu'aujourd'hui.

Autre Monde - Journal d'un long marcheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant