17 février (?) - Entrevue dans les ténèbres

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Les expéditions en ville effectuées précédemment n'avaient rien à envier au long périple qui nous attendait. quatre adolescents, habitués depuis toujours à culminer au sommet de la chaîne alimentaire, désormais réduits au rang de fourmis, contraints de s'abriter au moindre bruit suspect. Mais, même en connaissance de cause, nous étions loin de nous douter de ce qui allait nous attendre tout au long de notre voyage.

Avancer à cheval dans cette marée de feuillage n'était pas aisé, encore moins pour des débutants. Chacun avait le sien, sauf Evan qui, n'ayant aucune notion d'équitation, se trouvait derrière Noémia. Régulièrement, nous nous imposions des arrêts, pour être certain de ne pas manquer de forces au moment opportun. Ces pauses étaient animées de nombreuses discussions, principalement grâce à Evan qui ne pouvais s'arrêter de parler. Ayant eu de la famille à Princeton, il était impatient d'arriver sur place. De plus, je fus amusé de constater qu'il paraissait intimidé en ma présence. Fort heureusement, il ne mit pas longtemps avant de constater que le statut qu'on m'attribuait au collège était superficiel, et qu'il n'y avait aucune raison de se comporter différemment en ma présence. Noémia quant à elle, restait plutôt en retrait, concentré sur ses livres ou s'entraînant à tirer à l'arc. C'était donc avec Sam que j'échangeais le plus, car alors que j'écrivais notre histoire le soir dans ce journal, lui, tenait le sien qu'il complétait des différentes plantes rencontrées, des créatures aperçues, et même de plans illustrant les modifications apportées aux anciens paysages. Son travail lui tenait à cœur, et je regrettais de ne jamais être allé lui parler avant la tempête au lycée, car nul doute que nous aurions été de bons amis.

Le jour où Sam écrivit le plus dans son carnet fut le soir de notre départ. Alors que nous venions tout juste de rejoindre ce qui avait pu être dans le passé l'ancienne autoroute conduisant droit vers Princeton, un incroyable spectacle aussi fascinant qu'atypique attira notre attention. Partout sur le bitume, se trouvaient des millions, voir des milliards de scarabées au ventre bleu sur la voie de droite, et rouge sur celle de gauche. Inoffensifs, ils se contentaient d'avancer en file indienne, parfaitement ordonnée vers le sud. Après les avoir longuement observés, il fut décidé d'en emporter quelques-uns avec nous, dans le but de les étudier plus en détail une fois rentrés, car était clair qu'ils n'étaient pas là par hasard.

Le lendemain de notre départ, nous étions à Princeton. La ville n'avait pas été épargnée par la végétation, et une atmosphère pesante s'installa dès l'instant où l'on y posa le pied.

— Bon, débuta Sam, comme on a pu le dire plus tôt, si l'on a pu voir leur signal d'aussi loin, c'est qu'ils se trouvaient en hauteur, donc potentiellement un relief, ou le toit d'un bâtiment. Pour le relief ça m'étonnerait que la tempête ait altéré la ville à ce point, mais pour le bâtiment, il n'y a qu'un endroit susceptible d'abriter du monde.

— L'université de Princeton !

— Sérieusement ? s'alarma Evan. Après le collège c'est l'université maintenant ? Pourquoi faut-il que vous soyez autant attirés par l'éducation...

— Très bien, allons y faire un tour.

Nous avancions à pas de loup jusqu'aux portes de l'université, qui ne semblait pas abriter âme qui vive.

— Au moins on est sûr que ce n'est pas ici, conclu Evan. Quelqu'un a un plan B ?

— Peut-être pas, insista Noémia. L'université est immense, ils ont pu s'abriter dans une aile précise du bâtiment.

— Qu'est-ce que tu proposes Elio ? me demanda Sam.

— On va y faire un tour, et on repart aussitôt qu'on a confirmé qu'il n'y avait effectivement personne.

— C'est parti...

Une fois les chevaux attachés, nous pénétrâmes dans le bâtiment, dont les ténèbres nous avalèrent en un éclair, nous coupant de tout contact avec le monde extérieur. Sam sorti de son sac le bocal contenant les scarabées pour nous éclairer. Les lumières rouge écarlate et bleu vif, en se projetant sur les murs, instaurèrent une ambiance plus spectrale encore que le lieu ne l'était déjà. Plus nous nous avancions, plus nous perdions espoir de tomber sur une quelconque présence humaine dans ces sinistres ruines. Quand finalement, à nos pieds apparurent sous le faisceau de la lumière, des sacs, des duvets et des vêtements d'adolescents.

Autre Monde - Journal d'un long marcheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant