1er Août - La nouvelle recrue

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Cela allait bientôt faire deux semaines que l'escouade du capitaine Isaac avait quitté les terres cyniques pour s'aventurer sur celles des pans. En quête d'enfants à capturer, ils avaient finalement investi un vieil immeuble, où une petite poignée d'entre eux se terrait. La bataille, qu'il est plus juste de qualifier de véritable massacre, avait été à sens unique. Pris au dépourvu, et ne maîtrisant que très peu leurs altérations, les pans s'étaient fait asservir en l'espace de quelques minutes, tout au plus.

Ces combats, vides de tout enjeu, commençaient sérieusement à assommer Isaac. Comme tous les cyniques, c'était un être mauvais, qui méprisait les pans ; à ses yeux, cette descendance abjecte, fruit de leurs propres péchés, n'était bonne qu'à être réduite en esclavage. Cependant, c'était un guerrier avant tout, et contrairement à ses hommes, il ne trouvait plus rien d'exaltant à exterminer des gamins chétifs à tour de bras. La mission qu'on lui avait confiée touchait à sa fin, maintenant que leurs cages étaient pleines à craquer de futurs esclaves destinés à l'anneau ombilical. Il était temps de rentrer au pays.

Durant la traversée de la passe des loups, seul passage permettant de franchir la Forêt Aveugle, Isaac était pensif ; le souvenir de lui sirotant une boisson alcoolisée dans la taverne du coin lui était agréable. Ses songes s'interrompirent brutalement, lorsque le convoi s'arrêta net.

– Qu'est-ce que c'est que ce bordel encore, grogna-t-il.

La forteresse de la passe des loups, n'était plus qu'à quelques dizaines de minutes de marche, et s'attarder au beau milieu de cette forêt, n'annonçait jamais rien de bon. Au crépuscule, des hordes de loups géants sortaient de leurs tanières pour chasser. Il était évident qu'une rencontre avec eux s'avérerait être des plus regrettables.

Lorsque Isaac arriva en tête de file, il put à son tour constater ce qui leur faisait obstacle. A quelques mètres devant, une silhouette armée d'une lance, se dressait face à eux, et du fait de sa petite taille, il n'était pas difficile de comprendre qu'il s'agissait là d'un pan.

Que pouvait-il donc faire, tout seul qui plus est, dans cette zone aussi dangereuse ? Instinctivement, Isaac pensa à une distraction en vue d'un guet-happent. Pourtant, après avoir inspecté du regard les environs, il devait se rendre à l'évidence : cet enfant était bel et bien seul.

– Qu'est ce tu fais là, toi ?! S'écria l'un des gardes du convois.

Après un temps, le pan répliqua d'une voix suffisamment forte pour qu'on puisse l'entendre.

– Je viens rejoindre votre armée.

Les cyniques se mirent à rire grassement, tant cette proposition inattendue leur parut insensée. Isaac lui, restait silencieux, et se contentait d'observer la scène, intrigué par leur mystérieux interlocuteur.

– Tu vas surtout venir rejoindre tes petits camarades dans nos cages, je crois qu'il reste justement un peu de place, reprit le même cynique.

– Si c'est cela que tu veux, je crois que tu vas devoir venir me chercher.

Une veine exorbitante apparut au niveau de la tempe du cynique, fortement agacé par l'arrogance dont pouvait faire preuve ce gamin.

– Sale mioche... On a suffisamment d'esclaves de toute façon, et je ne me suis pas assez défoulé tout à l'heure, je vais corriger cette erreur sur toi.

Le soldat empoigna son épée, et avança en direction du pan, qui ne cilla pas à l'approche de ce mastodonte. Le cynique était confiant, car comme l'avait démontré leur dernière bataille, les pans, plus frêles et plus faibles, ne pouvaient absolument rien contre eux. Une fois à sa hauteur, il plaça son épée face à lui, et la planta d'une fente en avant, en plein dans le ventre de son opposant, qui n'eut pas le temps de se mettre en garde avant que ce coup mortel ne lui soit porté.

L'enfant s'écroula au sol. Fier de son coup, le garde se mit à rire de plus belle, et se retourna triomphant vers ses camarades, tout en vantant ses aptitudes aux combats. Isaac, extrêmement désappointé, soupira de déception. Il s'apprêtait à donner l'ordre de reprendre la route, quand une stupeur s'empara de ses hommes ayant toujours les yeux rivés sur le combat. Sans aucune explication, la tête du cynique qui venait de combattre, se détacha de son corps, pour aller tournoyer dans les airs. Ainsi décapité, la vie ne quitta pas tout de suite le corps de ce dernier, il lui fallut quelques secondes avant de s'écraser au sol, faisant apparaître derrière son dos le pan. La lance placée face à lui, il se tenait fermement sur ses deux jambes, le tissu de son vêtement déchiré, mais sa chair intacte, comme si aucune blessure ne lui avait été infligée.

Les cyniques, pris de panique, armèrent leurs arbalètes et leur arcs, tout en visant leur assaillant.

– Abattez-moi, mit en garde l'inconnu, et vous vous débarrasserez de la seule personne haïssant les pans  probablement bien plus que vous tous réunis.

Nul ne voulait entendre ses propos, la volée de flèches était inévitable. Il avait pris des risques incommensurables en se présentant de la sorte, mais son expérience passée lui avait appris à jouer carte sur table. Le jeune pan ne dut sa survie qu'à l'intervention d'Isaac, qui ordonna à ses hommes de ne pas décocher.

– Attendez ! Dis-moi gamin, pourquoi voudrais-tu rejoindre nos rangs ?

– Gamin... De par ma taille vous me considérez comme tel, mais au vu de ce que je viens de faire subir à votre larbin, ne pensez-vous pas que je suis plus proche de l'un d'entre vous que d'un enfant ?

Isaac se mit à sourire, ce caractère bien trempé lui plaisait : ce qu'on disait était donc vrai, parmi les pans, se trouvaient quelques rares combattants aguerris aux pouvoirs surnaturels.

– Chef, l'interrompit un garde avant qu'Isaac ne formule sa décision. On ne va quand même pas l'accepter parmi nous après ce qu'il vient de faire à Hector... ?

– La ferme toi. Hector était un imbécile, il a baissé sa garde face à un ennemi aux capacités inconnues, il a mérité ce qui lui est arrivé.

Le garde s'excusa de cette remarque, et retourna immédiatement dans son rang. Chacun ici, respectait Isaac, tout comme ils le craignaient. D'un physique athlétique, l'armure des cyniques lui sciait à merveille, au même titre que son statut de chef des armées. Quelques cheveux blancs commençaient à se distinguer dans sa chevelure grisâtre, on pouvait évaluer son âge aux alentours de la cinquantaine. Comme l'ensemble des cyniques, il avait perdu la mémoire suite à la tempête, et ne gardait aucun souvenir de sa vie d'antan. Pourtant, cela ne faisait aucun doute qu'il avait dû faire carrière dans l'armée, et que les batailles sanglantes avaient toujours fait partie de son quotidien.

– Tu me plais bien. Ce cran, cette vélocité... C'est tout ce qui manque à mes soldats. Et puis tu as raison, je serais un piètre commandant si j'expédiai à la tombe tous mes potentiels alliés uniquement à cause de leur âge.

– Alors, votre décision ?

– Tu peux nous rejoindre, cependant, je ne me porte pas garant de ta sécurité pour autant.

Il se retourna vers ses hommes, un sourire cruel aux lèvres, en ajoutant.

– Si jamais l'un d'entre eux te plante durant ton sommeil...

– Parfait.

Cette dernière menace indirecte n'affecta nullement le jeune conscrit, qui commença à suivre le convoi, fusillant du regard ses nouveaux compagnons d'arme.

– De toute façon je n'attends qu'une seule chose de vous.

– Et peut-on savoir de quoi il s'agit ?

– Que vous me laissiez me déchaîner autant que cela me chante sur le champ de bataille.

– Tu peux compter sur nous gamin, rétorqua Isaac particulièrement fier de sa nouvelle recrue. Quel est ton nom ?

– Elio... Elio White.

Autre Monde - Journal d'un long marcheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant