Autre Monde - Journal d'un long marcheur

17 juillet - Sentiment inopiné

Apprendre le langage des signes se révéla être une tâche bien plus ardue que ce à quoi je pouvais m'attendre. Par chance, le manuel ramené de la bibliothèque était très détaillé. J'optimisais mon temps en focalisant mon apprentissage sur les signes courants, que je pouvais être le plus amené à utiliser. Je ne compte plus les heures interminables passées dans ma chambre, à enregistrer méthodiquement la moindre des subtilités de cette langue qui m'était encore parfaitement inconnue il y a quelques jours encore. J'étais si peu présent durant cette période, que certains pans se sont même demandé si je n'étais pas déjà reparti. Enfin, au bout du troisième jour de cette formation intensive, je me sentais prêt. En pleine après-midi, je ressortis dans la cour principale de la ferme, et demandai si quelqu'un un savait où je pouvais trouver Lou. Personne ne le savait, il était donc évident qu'elle ne pouvait être qu'à un seul endroit.

Je gravis l'échelle du silo, et mon cœur se serra lorsque je la vis de dos, contemplant le paysage. Contrairement à la dernière fois, elle avait ses longs cheveux blonds détachés. Ils ondulaient au gré du vent, dans un rythme presque harmonieux. Lorsque j'eus gagné le toit, elle se retourna enfin. Si rien que voir ses cheveux flotter de la sorte m'avait envoûté, je ne saurais comment décrire ma réaction lorsque je me retrouverai confronté à son visage angélique. D'un regard intrigué, elle me contempla de haut en bas, se questionnant probablement sur la raison de ma venue ici. Ça y est, j'avais passé trois jours et nuits à apprendre des centaines de signes de communication, et pourtant, plus aucun ne me venait en tête à ce moment précis. Une subite envie de me téléporter à mille lieues d'ici me traversa l'esprit.

— Salut, commençai-je à mimer en montant la pulpe des doigts de ma main gauche vers ma bouche, avant de la projeter vers elle.

Elle écarquilla les yeux et me dévisagea, visiblement très surprise de ce que je venais de faire. Elle enchaîna sur une multitude d'autres signes. Tout cela était beaucoup trop rapide pour moi, je n'étais encore qu'un apprenti. Je lui fis signe de ralentir légèrement, et elle recommença en décomposant soigneusement chacun de ses mouvements. Ma concentration était à son paroxysme. Malgré certains gestes incertains, en pertinent un indice de temps et l'idée de « comprendre », je pus déchiffrer sa phrase, qui devait donner quelque chose comme « Depuis quand parles-tu le langage des signes ? ».

– Depuis trois jours, réponds-je de mes mouvements bien moins fluides que les sens.

– Pourquoi ? me répondit elle en tapotant son index contre sa tempe.

– Pour toi.

Ces derniers signes la coupèrent net. Réalisant que cette révélation pouvait paraître tout aussi touchante qu'inquiétante, je voulu lui expliquer que je ne voulais pas la laisser dans cette solitude, que je trouvais injuste cette distance qui existait entre elle et les autres pans, uniquement à cause de son handicap. Malheureusement, c'était parfaitement impossible pour moi d'exprimer tout cela pour le moment. Cela se fit ressentir lorsque je commençai une phrase, sans parvenir à trouver les signes pour la compléter. Je détestais ne pas pouvoir m'exprimer convenablement, cela était frustrant, et j'eus un pincement au cœur en réalisant que cette situation devait probablement être son quotidien. Lou se mit à sourire, amusée de la situation, et quelque chose de très inattendu se produisit.

Tu peux parler, tu sais ? Je pourrais t'entendre et te comprendre.

Cette voix féminine, je ne la connaissais pas. Mon réflexe fut de me retourner instinctivement vers l'échelle, pourtant, il n'y avait personne d'autre que nous sur ce toit, et Lou n'avait même pas ouvert la bouche. Non c'était particulier, comme si la voix avait résonné directement dans ma tête. Il n'y avait qu'une seule explication à ce phénomène. Je dévisageai Lou, et lui demandai :